Je me souviens des heures passées près du téléphone gris au cadran rond. Tu avais promis d’appeler à 15h, et pour ne pas te rater, je restais dans l’entrée près de ce petit meuble où le combiné était posé, à proximité immédiate de la prise. Il allait sonner. Dans moins d’un quart d’heure. Mais j’étais prudent : tu pouvais avoir de l’avance. Dans l’entrée au dessus de la porte du couloir, on avait accroché une pendule ronde à aiguilles dont je pouvais regarder passer les secondes et compter de cinq en cinq jusqu’à l’écoulement de la minute. J’avais le temps de détailler les fleurs oranges et marrons du papier peint, dont je connaissais la moindre éraflure. Pas la première fois que j’attendais ton coup de fil. C’était calé sur un moment précis où j’étais seul à la maison : nous pourrions nous donner des nouvelles. J’attendais, la main posée sur le téléphone. Hors de question de décrocher : tu aurais cru la ligne occupée. A l’heure pile, j’entendais sonner l’horloge chez la voisine : trois coups. Je m’attendais à ce que tu fasse sonner le quatrième aussitôt. Mais rien. L’aiguille, inexorable comme le sont alors les aiguilles, continuait son manège de secondes. J’ai attendu. A genoux, comme pour la prière. Pas de miracle. La première demi heure est passée. J’ai dû commencer à envisager que tu n’avais pas pu, que tu avais oublié, que tu n’avais pas voulu. Pas voulu me parler. Rien voulu me dire. Ou peut-être qu’il t’était arrivé quelque chose. Comment savoir sans nouvelles ? Le téléphone n’a pas sonné ce jour-là. Il me faudrait patienter une semaine, et qu’il soit à nouveau 15 heures, pour espérer que, cette fois-là, tu ne m’oublierais pas. Dis, tu ne m’oublieras pas ?