La camionnette klaxonnait une fois par semaine devant la maison et c’était magique, ce magasin qui apparaissait et bloquait la rue, le temps qu’on achète ce qui manquait, entre deux marchés à la ville. Quelques yaourts, un paquet de biscottes, des cubes de bouillon de poule et peut-être une barquette de salade piémontaise ou de macédoine de légumes… On ne ratait ça pour rien au monde. Il ne se passerait rien d’autre de la journée. Nous traversions le jardin en courant jusqu’à la rue, tentions ne négocier une sucette, un paquet de biscuits. Et puis, un jour, les supermarchés ont poussé en limite des villages, avec leurs parkings bétonnés. La camionnette a cessé de klaxonner. Finis les piémontaises œuf dur et cornichons, finies les carottes râpées et les sucettes au caramel. Peut-être que l’épicier qui faisait la tournée a trouvé une place et a passé ses journées dos cassé à remplir les rayons de barquettes de nourriture industrielle. Et aujourd’hui, sa petite-fille, à la caisse, immobile, regarde à peine les clients qui craquent pour la boîte de gâteaux en forme de camionnette qui lui noue la gorge à chaque passage sur son tapis roulant.