Sautées, flambées, assaisonnées. Servies chaudes à l’apéritif, en sauce avec du riz, jetées sur une salade. Ajoutées à une timbale, entre un morceau de lotte et une noix de coquille Saint-Jacques. J’ai l’embarras du choix. Le seul souci, c’est ce souvenir d’enfance, ce souvenir précis, cette image ancrée qui ressurgit immanquablement lorsqu’on parle devant moi de crevette. Je suis debout dans mon bain et ma mère coince son index avec son pouce et je sais ce qui va suivre, je me prépare comme dans un mauvais rêve dont on connait l’issue. Impossible de l’éviter. Ma mère, son index, son pouce et sa pichenette rieuse sur ce que j’appelle encore mon zizi. Et sa voix, sa voix qui résonne sur les carreaux de la salle de bain : « alors, c’est quoi cette queue de crevette ? » Pas que ça me fasse mal, non, mais la queue de crevette, qu’elle soit flambée ou sautée, servie en sauce ou à l’apéritif, c’est toujours cette image et la voix de ma mère. Et j’aimerais mieux autre chose.