Site icon Sébastien Bailly

24 – Appartement

L’homme, au début du confinement, avait vite fait le tour de son appartement. Chambre, salon, cuisine et salle de bain. Un couloir qu’il parcourrait à petite foulées, en pas chassés. C’était son monde et il allait tourner là sur lui-même. Et les jours avaient passé comme passent les jours. L’un après l’autre et dans l’ordre. Un sorte de routine immuable. Imperceptiblement, l’homme avait vu le couloir s’allonger. Les premiers temps, il lui fallait quelques secondes pour aller d’un bout à l’autre, puis cela lui a pris une minute, bientôt ça a été dix. Il n’arrivait qu’essouflé, après plusieurs stations appuyé sur le mur, à sa penderie. Et il se demanda enfin s’il était vraiment utile d’aller jusque-là pour changer de survêtement, de T-shirt, de chaussettes. Autant le couloir s’allongeait, autant le nombre de pièce diminuait. La salle de bain avait disparu la première, puis la chambre, rendue inaccessible par la distance. A un moment il n’y avait plus eu que le salon et la cuisine. De l’un à l’autre, de l’autre à l’un : le salon, donc, et la cuisine, qui fut bientôt oubliée ; il le ne pouvait plus se traîner si loin. Le réfrigérateur hors de portée, inatteignable. Les placards s’étaient vidés à une allure folle. Il n’y avait plus que cette porte vers l’extérieur, ce canapé et le poste de télévision allumé. Une télécommande. Mais la porte d’entrée s’éloignait elle aussi chaque jour un peu plus. Les obstacles pour l’atteindre devenaient insurmontables. Tours brinquebalantes de boîtes de pizza, sacs en papier, empilements de canettes de soda, polystyrènes de burgers gras, emballages froissés masquant les traces de mayonnaise, morceaux oubliés de cornichons moisis. L’homme allait abandonner la partie : on le retrouverait prostré devant la télévision bloquée sur une chaîne de documentaires, la télécommande aux piles depuis longtemps épuisées dans la main droite, son smartphone clignotant à l’annonce d’une dernière commande au fast-food déposée devant sa porte depuis plusieurs jours. Il aurait agonisé sans pouvoir changer de chaîne, s’écroulant mollement sur lui-même, si les voisins de retour de leur résidence secondaire à la levée du confinement n’avait appelé les pompiers, alertés par l’odeur.

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