Il arrivait parfois qu’il tienne plusieurs jours sans crise de larmes ni pensées suicidaires. Il arrivait qu’il se dise qu’il pourrait continuer à vivre sans confiance en personne. Parce qu’avoir confiance en qui, maintenant ? Il arrivait à penser qu’il en avait fini avec les émotions. Ce serait tellement plus simple.
Il arrivait qu’au matin il se dise tiens, je n’ai pas pleuré hier et que cela tienne jusqu’au lendemain. Il arrivait même qu’il soit heureux de croiser des gens et qu’il se reprenne à penser que, peut-être, ceux-là méritaient un peu d’attention.
Il arrivait qu’il oublie de se souvenir.
Mais cela revenait immanquablement, malgré l’alcool et les médicaments, malgré toutes les tentatives de divertissement : il repensait à ce qu’ils avaient fait, à ce qu’ils n’avaient pas fait, à leur bêtise, à leur incompétence. À la violence de leurs décisions, à l’acharnement, à la rudesse.
Il avait à nouveau honte pour eux qui n’avaient manifestement pas honte, eux qui continuaient leur vie sans une explication, comme si rien ne s’était passé, comme s’ils n’avaient pas broyé sur leur passage un malade, comme s’ils n’avaient pas porté les coups…
Il était tétanisé, en larmes, au bord du suicide encore. Vide de sens, hérissé de souffrance. Sans la moindre perspective de mieux.
Et eux, incapables pour toujours de s’expliquer : ils avaient quasiment achevé le malade puis étaient passés à autre chose.
Mais la honte abandonne-t-elle jamais ses proies ?