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245 – Broyé

Broyé est le mot qu’il utilisait pour décrire son état. Si, parfois, il usait de synonymes, c’était dans une sorte de réflexe esthétique. Pour éviter les répétions ou trouver une allitération, un rythme.

Mais broyé était le mot exact. Dans une forme passive : il avait été broyé par. Il savait que ça ne se voyait pas encore vraiment. Mais il commençait à avoir pris du poids et l’alcool gommait ses traits de rose. Il ne ferait pas illusion longtemps.

Broyé ça avait commencé à l’intérieur : liquéfaction des muscles, mélange des humeurs, hachis du cœur et des viscères. Il ne restait rien d’intact : une matière informe, visqueuse, qui ne gardait forme humaine que par miracle.

Broyé, il n’avait plus de colonne vertébrale, plus de squelette, rien qui le structure ou l’aide, au moins, à se tenir debout.

On l’avait frappé comme un sac. Le sac était toujours là, mais dedans de la bouillie. Pire que des lambeaux : rien qu’on puisse reconnaître ou reconstituer.

Broyé et tourné en dérision, mis en cause, accusé, même. Parce que peut-être les coups ne suffisaient pas : on avait détruit tout ce qui le constituait, ce à quoi il tenait, ce qui faisait le peu de valeur qu’il avait à ses propres yeux.

C’était du beau travail, à base d’insulte et d’humiliation, d’injustice et d’incompétence. Il avait encaissé plus qu’il ne pouvait supporter, en confiance et par devoir. Il était resté droit trop longtemps, ne prenant pas garde aux vacillements, tenant bon genou à terre, et cherchant même à se relever plusieurs fois sous les uppercuts. On l’avait hué.

Broyé. Réduire en menus morceaux, en poudre, en écrasant par choc ou par pression. Écraser avec force. Impossible de se reconstruire après ça.

Broyé. C’est exactement ce qu’il ressent. Les autres mots sont toujours en deçà.

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