Lesquels d’entre eux auraient été présents à mon enterrement, sans honte ni culpabilité ? Lesquels auraient donné un billet pour une couronne de fleurs et versé une larme à ma crémation, sans se remettre en question ? Lesquels auraient marché jusqu’au cimetière refusant l’évidence de leur culpabilité ? Lesquels aurait serré les mains de ma femme et osé présenter leurs condoléances à mes fils sans voir l’indécence de leur geste ? Lesquels auraient dit mon nom dans leurs discours avec une émotion sincère mais néanmoins incongrue ? Lesquels auraient dit qu’on ne peut comprendre un tel geste alors qu’ils en était la cause et l’origine ? Lesquels auraient pleuré ?
Lesquels continuent d’ignorer qu’ils ont assisté à ma mise en bière et qu’ils on jeté les premières poignées de terre sur le couvercle fermé ? Lesquels se cachent qu’ils m’ont poussé du bord du quai et que j’ai cessé de respirer ce jour-là ? Lesquels croient vraiment n’avoir rien à se reprocher qui ont maintenu sur mon visage l’oreiller qui m’empêchait de respirer pour que je ne crie pas ? Lesquels ne veulent pas savoir si la ceinture accrochée à l’armature de la douche de la chambre d’hôpital aurait pu résister à mon poids ?
Lesquels préfèrent le silence du cimetière au dialogue que nous aurions pu avoir ? Lesquels auraient entretenu ma mémoire ? Lesquels se seraient sentis meurtris par mon geste ? Lesquels l’auraient trouvé égoïste ?
Lesquels d’entre eux ignorent ce qu’ils ont tué ? Lesquels seraient passé à autre chose après mon suicide parce qu’il faut bien que le spectacle continue ?
Lesquels auraient expliqué mon geste en s’appuyant sur des impressions fugaces, des raisonnements bancals, des observations parcellaires ? Lesquels auraient refusé d’établir tout lien entre leurs pratiques et mon état ?
Je crois savoir exactement lesquels.
