Je suis le seul à te voir, là, dans le fauteuil du salon, souriante, deux rangs devant moi au cinéma (et tu te retournes pour un coup d’œil complice). Tu marches dans lumière des réverbères diffractée par la bruine, légère, un fine pellicule d’eau sur les cheveux et le visage. À chaque fois que je te vois, mon cœur se serre. Nous ne nous parlons pas. Que dirions-nous ? Je ne sais pas comment tu vas. Qui te rend heureuse ou triste ? Ceux que tu aimes sont-ils toujours autour de toi ? Quels deuils nouveaux t’accablent ? Je te rends ton regard et j’y mets l’empathie, la compassion, tout le soutien dont je suis encore capable. Je ne sais rien de la robe noire que tu mets pour le cimetière, des larmes que tu verses, de qui te sert dans ses bras pour te réconforter. La période des fêtes s’englue dans une tristesse inévitable. Je la partage. Je partage tout, et comme nous ne nous parlons pas, j’éprouve à la fois toutes les émotions, bouillonnant de joie, de peur, de colère et de tendresse. J’en tremble. Ma vue se brouille. Je suis heureux : je suis avec toi plus que n’importe qui. Qu’apporterait de plus ta présence ? Je fanfaronne : je sais précisément la dureté de ton absence et sa froideur de marbre. C’est pour y survivre que je t’invente partout où porte mon regard. Dans ma folie, tu es là. Je m’y trouve bien.