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303 – Correspondance 10

Correspondance sans correspondante. Lettres en poste restante. Missive to miss. Je ne sais pas si c’est une nouvelle série. Mais je t’écris. Peut-être que tu te reconnaîtras, si tu existes ailleurs que dans ces lettres.

Tu,

Il y a eu le silence. Le silence, l’absence de tout signal audible. Sais-tu qu’on en devient fou ? Qu’on n’y survit pas ? L’absence de signal, de repère, de communication. L’isolement. La folie de l’isolement.

Tu ne me crois peut-être pas. J’ai appris ça : on peut ne pas me croire. Qu’importe si j’ai mis tout ce que je suis dans ma franchise, dans ma loyauté, dans l’importance de la parole donnée. Qu’importe. Parfois, on ne m’a pas cru. Je n’y étais pas préparé et cela a failli me tuer. Je n’exagère pas. Lorsque je parle, lorsque je dis quelque chose, je ne mens pas. Pose-moi une question, tu verras. Je peux refuser de répondre. Je peux choisir l’omission, mais je ne mens pas.

Ça, et savoir garder un secret : ce sont les deux valeurs qui me structuraient. Je ne pensais pas qu’on les mettrait en cause, je ne pensais pas qu’on me détruirait en s’attaquant à ça.

Je peux m’exprimer mal, je peux n’être pas compris. Mais qu’on me laisse au moins le bénéfice du doute : je suis honnête. Et si l’on dit que je mens, alors, qui suis-je ? Qu’est-ce qu’il me reste ?

Tu vois, les choses sont assez simples. Il suffisait de m’accuser de mentir pour saper les fondations sur lesquelles j’avais tout bâti. Je peux admettre que j’ai été naïf, que j’ai eu exagérément confiance.

Je n’ai pas menti. J’ai dit les choses. Je n’aurais pas dû. Je ne peux pas envisager, aujourd’hui encore, que tu as cru que je pouvais mentir.

Peut-être que tu ne pouvais pas imaginer la place que ça prendrait pour moi, d’avoir perdu ta confiance, de n’être pas soutenu. Peut-être que j’aurais dû tout te raconter. Mais non. Je ne l’ai pas fait. Je n’avais aucune preuve, et comme tu doutais déjà, à quoi bon ? On devrait pouvoir convenir que je me suis trompé en pensant que ma réputation me protégeait. Non, elle ne protège de rien.

Je ne te connaissais pas, non plus. Je ne pensais pas que tu pouvais agir ainsi, sans courage ni confiance. Mais pourquoi avoir fait appel à moi, alors ?

Tout m’a été reproché. Je n’ai pas pu me défendre. Je me suis retrouvé seul. KO debout. Même plus debout. Au sol, rampant. Et les coups ne se sont pas arrêtés : personne ne m’écoutait plus. À quoi bon parler encore ?

J’ai fui. Malgré moi. Incapable de faire face. Détruit. J’ai fui sans aucun plan, sans rien à sauver que ma peau. Je ne pensais pas que j’aurais un jour l’occasion d’utiliser cette expression littéralement : sauver ma peau.

Je ne te pensais pas capable de ça. Ni toi ni les autres. Alors j’ai rampé. Ce n’était même plus de la boue, mais une fange putride. J’ai rampé sous la surface. Il fallait bien que j’avance, que j’aille n’importe où ailleurs.

Ça aura été dégueulasse jusqu’au bout. Ça l’est encore. Le goût restera toujours. Dégueulasse.

Putride.

Je n’ai pas sorti la tête de la fange. Elle a collé à mes cheveux. Elle a bouché les pores de ma peau. Elle a bloqué mes mouvements. Je ne ressemble à rien qu’une bouse séchée par le soleil et le vent. Je peux faire quoi de cette image ?

Je n’avance plus : la croûte a durci et je ne ressemble à rien. Un étron fossilisé qui a même perdu son odeur. Les mouches ne s’y intéressent plus. Tout est passé.

Voilà. Voilà ce que je suis devenu. Si je méritais ça ? J’ai du mal à le croire. Mais pourquoi s’attendre à mériter quelque chose ? Qu’importent les services rendus. On finit par vous jeter et qu’on ne s’étonne pas après ça si je considère qu’on ne peut compter sur personne que pour le pire.

Tout ça n’aura pas été joli et j’admire presque ta capacité ne rien regretter, à ne ressentir ni gêne ni honte.

Je ne reviendrai pas dans le jeu, je ne retrouverai jamais la force et, surtout, jamais la confiance.

Je n’espère plus rien.

Ce n’est pas grave, un dommage collatéral le long de voies professionnelles qui ont à peine tremblé.

Dommage.

S.

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