Que le monde semble vide, quand je tourne la tête et que je ne te vois pas. J’ignore ce qui t’a fait disparaître et par quel coup du sort tu es sortie du cadre. Tu étais là, l’instant d’avant. Et je dois maintenant me résoudre au plateau vide. Par quelle trappe et pour quelles raisons as-tu choisi de partir ailleurs ? Qu’est-ce qui a pu te laisser imaginer que c’était mieux sans moi ? Quelle corde as-tu tirée pour monter jusqu’aux cintres ? Par quelle diablerie, par quel tour de magie, par quelle espièglerie, t’es-tu volatilisée sans que je vois rien venir ?
Je suis seul, tremblant dans la lumière crue, sans texte à dire, sans indication de mise en scène, sans direction d’acteur, sans rien à quoi me raccrocher, sans pirouette possible. C’est à peine si je peux reculer de quelques pas pour disparaître dans l’ombre. Je le fais en tremblant. Pourrais-je revenir un jour sur scène après une telle humiliation : j’ai entendu les sifflets et vu tomber à l’avant de la scène quelques projectiles improvisés : programmes froissés, gobelets, bouteilles…
Ils étaient venus pour te voir triompher, ils assistaient à ma débâcle : on comprend leur déception. ils voulaient du spectacle, pas une pantalonnade. Ils espéraient de l’action, pas un tel fiasco.
Où es-tu ? Alors que je devrais sauver la face et retourner la situation, profiter de mon moment de gloire, seul sur scène, et séduire le public en trois phrases, je ne pense qu’à toi et à ce que j’ai fait pour mériter pareil traitement.
Suis-je à ce point détestable ? Insupportable ? Est-ce que je n’apporte rien d’autre que du malheur autour de moi ? De quoi suis-je coupable ? Que n’ai-je fait pour réparer ce dont je n’étais pas responsable ? Que me reproches-tu que je doive assumer ?
Quelle réplique ai-je écorchée ? Quel pas de danse ai-je oublié ? Ai-je si mal joué mon rôle pour que tu sortes ainsi côté cour ou jardin, sans un mot ni un geste ? Cela valait-il pareille humiliation et que tu t’arranges pour nuire à tout jamais à ma réputation ?
Qui remettra après ça mon nom sur une affiche ? Qui pourra croire que j’apprendrai mon texte et que je jouerai juste le rôle qu’on m’aura octroyé et pas un mot de plus, pas un contretemps, pas d’improvisation. Je serai le personnage, rien d’autre, rien de plus. Sage comme une image, sans déborder du cadre.
C’est fini, pour moi. C’est fini la confiance. Je n’aurai plus de rôle. Je n’aurai plus d’emploi. Pour toujours ridicule, abandonné sous les huées, sans réaction. Ridicule. Petit. Seul.
Même figurant, je n’aurai plus de place.
Je m’effondre en coulisse, et je suis bientôt dans la rue sombre et humide. Je ne reviendrai plus.