« J’ai trouvé en ligne une série d’instructions pour bien écrire. Je les adopte avec quelques variantes car je pense qu’elles pourraient être utiles aux écrivains, en particulier à ceux qui suivent des cours d’écriture créative. »
Le propos d’Umberto Eco se trouve dans La Bustina di Minerva (Bompiani, 2000), un recueil de ses chroniques hebdomadaires pour L’Espresso. Avec son ironie habituelle, il donne 40 conseils pour bien parler italien. Forcément, une fois traduit en français, ce sont 40 conseils pour bien parler, et surtout bien écrire, en français. Petite traduction personnelle à partir de la version italienne, d’une version en anglais qui ne retient que 36 points, et de traduction automatique (qui peine un peu, il a fallu adapter pas mal de choses, c’est le souci avec l’ironie et les jeux de mots…)
Bref, sans trop trahir j’espère, voici les 40 conseils d’Umberto Eco pour écrire en français. Le 24e va vous surprendre. Forcément (c’est mon favori).
1. Évitez les allitérations, même si elles tentent les têtus.
2. Ce n’est pas que le subjonctif doit être évité, mais plutôt qu’il n’est utilisé que lorsque cela est nécessaire.
3. Evitez les clichés : c’est la cerise sur le gâteau.
4. Exprimez-vous comme vous respirez.
[Littéralement, Esprimiti siccome ti nutri, c’est « Exprimez-vous comme vous mangez » (merci à Marie pour son commentaire). Mais ne dirait-on pas plutôt ça, en français, pour écrire beaucoup, tout le temps, sans réfléchir ? ]
5. N’utilisez pas d’acronymes & d’abréviations, etc.
6. Rappelez-vous (toujours) que la parenthèse (même lorsqu’elle semble indispensable) interrompt le fil de la discussion.
7. Attention à ne pas faire… d’indigestion de points de suspension.
8. Utilisez le moins de guillemets possible : ce n’est pas « bien ».
9. Ne généralisez jamais.
10. Les mots étrangers sont too much.
11. Soyez avare de citations. Emerson a dit à juste titre : « Je déteste les citations. Dites-moi simplement ce que vous savez. »
12. Les comparaisons sont comme des clichés.
13. Ne soyez pas redondant ; ne répétez pas deux fois la même chose ; la répétition est superflue (par redondance, nous entendons l’explication inutile de quelque chose que le lecteur a déjà compris).
14. Seuls les connards utilisent des mots vulgaires.
15. Soyez toujours plus ou moins précis.
16. L’hyperbole est la plus extraordinaire des techniques expressives.
17. Ne faites pas de phrases d’un seul mot. Supprimez.
18. Attention aux métaphores trop audacieuses : ce sont des plumes sur les écailles d’un serpent.
19. Mettez, les virgules, au bon endroit.
20. Distinguer entre la fonction du point-virgule et celle des deux points : même si ce n’est pas facile.
21. Si vous ne trouvez pas la bonne expression française, n’utilisez jamais l’expression dialectale : ça marque-mal.
22. N’utilisez pas de métaphores incongrues même si elles semblent « chanter » : elles sont comme un cygne qui déraille.
23. Est-il vraiment nécessaire de poser des questions rhétoriques ?
24. Soyez concis, essayez de condenser vos pensées en le moins de mots possible, en évitant les phrases longues – ou les phrases brisées qui déroutent inévitablement le lecteur occasionnel- afin que votre discours ne contribue pas à la pollution d’informations qui est certainement (surtout lorsqu’elles sont inutilement bourrée de détails inutiles, ou du moins pas indispensables) l’une des tragédies de notre temps dominée par les médias.
25. Les accents ne doivent étre ni incorrects ni inutiles, car celui qui le fait à tort.
26. Un’article indéfini ne s’apostrophe pas devant le nom masculin.
27. Ne soyez pas catégorique ! Gare aux points d’exclamations !
28. Même dans les pires scénarii, les fans de barbarie n’utilisent pas les pluriels des termes étrangers.
29. Épelez exactement les noms étrangers, tels que Dente, Roosewelt, Niezsche, etc.
30. Nommez les auteurs et les personnages dont vous parlez directement, sans périphrase. Comme le plus grand écrivain lombard du XIXe siècle, l’auteur du « 5 mai ».
31. Au début du discours, utilisez la captatio benevolentiae, pour flatter le lecteur (mais peut-être êtes-vous tellement stupide que vous ne comprenez même pas ce que je vous dis).
32. Soignez scrupuleusemment l’orthographe.
33. Inutile de vous dire à quel point les prétéritions sont écœurantes.
34. Ne passez pas trop souvent à la ligne.
Du moins, pas quand ce n’est pas nécessaire.
35. N’utilisez jamais le pluriel de majesté. Nous pensons que cela fait mauvaise impression.
36. Ne confondez pas cause et effet : vous auriez tort et donc vous auriez tort.
37. Ne construisez pas de phrases dans lesquelles la conclusion ne découle pas logiquement des prémisses : si tout le monde le faisait, alors les prémisses découleraient des conclusions.
38. Ne vous laissez pas aller aux archaïsmes, hapax legomena ou autres lexèmes insolites, ainsi qu’aux structures rhizomatiques profondes qui, bien qu’elles vous apparaissent comme autant d’épiphanies de la différence grammatologique et d’invitations à la dérive déconstructive – ce serait encore pire s’ils s’avéraient être résistants à l’examen de ceux qui lisent avec acribie ecdotique – dépassent les capacités cognitives du destinataire.
39. Vous n’avez pas besoin d’être verbeux, mais vous n’avez pas non plus à en dire moins que nécessaire.
40. Une phrase complète doit avoir.