C’est la cohue, le rush, presque l’émeute au rayon viandes. Il faut s’en approcher, s’y glisser, s’y faufiler… Longtemps qu’on n’avait pas vu ça, et les végans les plus convaincus se pressent comme les autres, et jouent des coudes, et sortent les dents. Il n’y en aura pas pour tout le monde ! Laissez-en pour les autres ! J’ai des enfants, pensez aux enfants ! Les femmes et les enfants d’abord ! Dégage ! Et l’on ne s’épargne aucune insulte et se bouscule, et se marche sur les pieds. Ressortent de la mêlée, tels des rugbymans courbés sur leur ballon, des mères de familles aux yeux révulsés, des sexagénaires au chignon ébouriffé, des unijambistes au ricanement strident : ils ont réussi à attraper du bout des doigts le paquet convoité, la barquette espérée, le colis lorgné depuis l’entrée du supermarché. Les plus costauds en ont un sous chaque bras, et le sourire carnassier de ceux qui ont réussi dans la vie et auxquels il ne faut pas chercher noise. Les gens sont fous, se dit Irène, qui renonce à la bagarre : trop risqués ces six faux-filets.