Le fleuve charrie à l’automne les cadavres de ceux qui s’y sont jetés vivants. C’est tous les mois, ou presque, un corps coincé entre deux péniches amarrées ou, un méandre plus loin, pris dans la vase des marais, les poumons gorgés d’eau sale, la peau déjà en lambeaux. Le médecin légiste, selon l’état des chairs, date avec précision le décès. La police croise avec les déclarations de disparition, et, parfois, des témoignages un peu flous d’ivrognes qui auront cru voir quelque chose dans le brouillard, au milieu d’une nuit sans lune. On remonte ainsi généralement à l’identité du mort, lorsqu’il n’a pas eu la bonne idée de garder sur lui ses papiers.
On ignore celles et ceux qui ne refont jamais surface et disparaissent par les profondeurs ou, portés jusqu’à la mer, qui dissolvent leur désespoir jusqu’aux vents océaniques. Leurs dernières larmes étouffées seront tempêtes à l’autre bout du monde.
Du haut du pont, regarder couler le fleuve, nos amours, le temps qui passe. Laisser rouler nos pleurs.