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Un Livre blanc / Oreille rouge

Je me plonge aujourd’hui dans Un livre blanc, de Philippe Vasset. Et rien ne me déçoit. Il y est question de vagabondages sur ces zones des cartes urbaines où rien n’est indiqué. Des zones vierges, blanches.

Et Philippe Vasset nous livre le récit de ses découvertes. Il va sur le terrain. Il veut savoir. Qu’est-ce qui existe est là, derrière les murs ou les grillages ? Que trouve-t-on où la carte n’indique rien ?

On redécouvre la ville, autrement. Même si ça glace parfois le sang, rien que cela vaut le voyage : un livre d’explorateur des temps modernes qui nous montre près de chez nous ce que nous préférerions peut-être ne pas voir. Mais pas seulement. Car, si le thème m’a plu, le livre, le travail de l’écrivain, n’y est pas pour rien.

Ce livre est un vrai livre blanc, un miroir des zones blanches de la carte. Et c’est là le tour de passe passe réussi de Philippe Vasset : le livre, celui que j’ai lu, celui qui est imprimé, n’est pas le livre dont il est question. Parce qu’au final c’est un livre pour dire que le livre ne s’est pas fait. Il est la description du livre, ou de la manifestation artistique qui aurait pu être le résultat de la démarche d’exploration. Sans rien de définitif. Ce livre est une piste, il trace des chemins, mais ne s’arrête pas.

C’est une friche, un terrain vague, un lieu sans existence définie. Un livre blanc, vraiment.
Et, là, je tire mon chapeau. Philippe Vasset décrit ce qu’il aurait voulu faire, mais n’a pas pu faire. Ici, par exemple : « J’aurais voulu trouver un texte, une lettre, voire de vieilles photos tombées d’un album de famille pour les incorporer à mon manuscrit. Mais rien. » Le Livre blanc est aussi cette description du livre qui ne s’est pas fait.

Notesdelecture

Presque dans la foulée, aujourd’hui, je lis aussi Oreille rouge d’Eric Chevillard. Tout juste sorti d’un carton de la Fnac Saint-Lazare. L’auteur de Palafox livre là lui aussi un récit d’éxploration. Et du coup, il y a comme un écho entre les deux livres. Le héros de Chevillard est comme un négatif du narrateur de Philippe Vasset. Un écrivain, aussi, mais explorateur malgré lui dans un Mali qu’il aimerait peuplé de girafes, de lions et d’hippopotames (mais rien ?). Il n’en verra pas. L’écrivain au Mali tente de prendre des notes, de faire corps avec l’Afrique. (Et dans Un Livre blanc, le narrateur est confronté à d’autres catégories d’exotismes). Il n’y arrive pas. Il est pitoyable et vide là où Vasset trouve moyen de se sortir de l’impasse. Et des phrases de Chevillard, évidemment, sont comme un écho à celles de Vasset.

Chez Chevillard : « Il a le souci constant du livre qu’il est venu chercher là, dont il collecte infatigablement les matériaux. Il ‘a même pas à se baisser. Pour l’heure, il se demande comment lier plus tard toutes ces notes accumulées dans le petit carnet noir. » Oreille rouge, c’est le surnom de cet écrivain raté, ne fera rien de bien intéressant de ces notes. Tout le savoir faire d’Eric Chevillard est de pointer cette vacuité en en tirant un livre drôle et intelligent.

Philippe Vasset n’est pas au Mali, mais aux portes de Paris. Et l’écho est bien là, dans Un Livre blanc : « Une fois la zone blanche localisée, j’essayais de décrire le plus précisément que je le pouvais la configuration des lieux. Je prenais ma mission très au sérieux et m’étais muni de tous les outils de l’exploration traditionnelle : une balise GPS, un appareil photo, ainsi qu’un carnet de croquis où je prenais des notes, effectuais des relevés,et dessinais des plans sommaires. A accumuler ainsi les informations et à me glisser par dessus les murs et les palissades, j’avais l’impression de faire de la géographie parallèle, alternative, à rebours de la science officielle, forcément impersonnelle et réductrice. » On apprend qu’il n’aura pas tout utilisé, et il passe le livre à s’interroger sur quoi faire de toute cette matière.

Et finalement, ni Oreille Rouge, ni Philippe Vasset ne donnent le livre attendu. L’un parce que c’est un personnage sans envergure, l’autre parce qu’il en a trop de talent pour tomber dans le piège. Philippe Vasset, c’est Oreille Rouge qui aurait réussi.

Tous les deux parlent de l’écriture, de son impossibilité, de ses limites au moins, du monde qui se refuse à la représentation, à l’image qu’on en a.


Un Livre Blanc, Philippe Vasset, Fayard, 14 Euros.

Oreille rouge, Eric Chevillard, Editions de Minuit, 6,50 Euros

Je parlais du site web associé à Un livre blanc, ici.

2 réflexions sur “Un Livre blanc / Oreille rouge”

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