On ne saurait trop recommander la lecture des romans de Pierre Dac aux jeunes générations. Ils sont de mes livres de chevet dans lesquels je picore doucement de peur d’en avoir fini. Quelques pages plusieurs soirs par semaine avant d’éteindre. Pour les autres soirs, d’autres livres. Bref, je lis en ce moment Les Pédicures de l’âme.
Un ouvrage qui peut être mis dans toutes les mains, ne serait-ce que pour le flanquer par la fenêtre, dans le cas où il serait jugé indésirable et attentatoire aux bonnes mœurs et à l’ordre établi.
C’est ce que dit Pierre Dac lui-même. Par chance, à l’heure où je le lis, la fenêtre est fermée, et les volets aussi.
C’est un roman loufoque, absurde, et par là hilarant qui aborde tous les sujets dans un désordre apparent qui lui confère toute sa saveur. Et, comme il fallait s’y attendre, à un moment, un journaliste arrive. Pas n’importe lequel. Le roman parait en 1953. Le journaliste est américain et vient rencontrer le héros, Jean-Marie-Léopold Sallecomble. Ce passage, jugez-en, est d’une saisissante clairvoyance sur l’évolution de la presse.
C’est ainsi qu’un jour, il accueillit Wallace-Bensohn Yentzmann, propriétaire et directeur du célèbre quotidien américain New-York Herald Pelouse, le redoutable et redouté concurrent direct du non moins redouté et redoutable New-York Herald Tribune.
Toutefois, le New-York Herald Pelouse prenait lentement, mais sûrement, une nette avance sur son adversaire.
Car Wallace Bensohn Yenntzmann avait eu une de ces idées de génie qui ne peuvent prendre naissance que dans un cerveau américain : son journal, en effet, ne comportait, en caractères géants, que des titres et des slogans; tout commentaire, tout article, toute analyse en était rigoureusement exclue.
« Ça suffit largement, prétendait-il; car avec dix ou quinze mots, le lecteur en sait autant, sinon plus, puisque ainsi il connait l’essentiel, que avec un papier de 250 lignes qui ne contribuerait qu’à l’embrouiller. »
Le tirage astronomique de son journal semblait confirmer l’exactitude de son raisonnement.
On soupçonne d’un coup les créateurs de Google News et des réseaux sociaux d’avoir lu un peu trop sérieusement Pierre Dac…