L’homme se découvre une passion pour la course lorsqu’on lui intime de ne plus sortir de chez lui. Jusque-là, deux cents mètres jusqu’à la boulangerie lui semblait un horizon indépassable. Il a droit de trotter une heure ? Hors de question de ne pas en profiter. Les bienfaits du jogging s’imposent comme la chantilly sur les profiteroles. Il ne s’agit toujours que mettre un pied devant l’autre, un peu plus vite, un peu plus loin pour retrouver une forme théorique : celle d’un jeune garçon athlétique qui enchaînerait les marathons avec la fluidité d’une crème anglaise versée sur un brownie. Il ne pense qu’à manger, mais il tourne une heure par jour en courant autour de son pâté de maison. Il trotte au début, s’essouffle, puis marche, et court encore une minute sur deux, sur trois, sur cinq. Pendant les trois derniers quarts d’heure, il flâne pour récupérer et il se dit qu’il aura bien couru et mérité les gâteaux de l’apéritif, la mayonnaise, le cornet glacé, le gigot à l’ail, les paupiettes, le saumon en croûte. L’homme a mal aux pieds. Il est tout entier dans cette douleur de chaque pas mais rien ne pourra lui faire renoncer au retour. Ses chaussures de sport sont trop petites, raides, inconfortables, mangées de moisissures, informes, salies par la poussière de la cave, rêches et incolores. Il a des ampoules et se demande si le petit doigt du pied s’appelle aussi l’auriculaire. Sa souplesse n’est plus ce qu’elle était. Il aurait du mal à le glisser dans son oreille. Surtout gonflé comme il est.
J’attends la suite avec impatience…