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Palafox

PalafoxParfois, souvent, j’aime me plonger dans un objet littéraire étrange, voire expérimental. Je peux prendre du plaisir à des lectures qui laisseront de marbre la plupart des gens. Pas de gloire à en tirer : je suis par exemple souvent hermétique à la peinture la plus moderne. Mais, en littérature, je peux lire 900 pages bien capilotractées, sans tout comprendre, mais avec délectation.
Tout cela pour vous dire quelques mots de Palafox, un bouquin hors catégorie d’Eric Chevillard. Celui-là fait à peine 190 pages, ce qui est beaucoup plus raisonnable que d’autres. Et, en plus, il m’a fait rire, à gorge déployée, ce qui ne gâte rien.
De quoi est-il question ?
D’un animal. Animal dont la définition imprécise occupe le livre. En une phrase choisie presque au hasard, on sait exactement qu’on n’est pas là où on devrait :

Un main au réveil, il fit entendre son cri, comment dire, une espèce de piaillement, ou plutôt de miaulement, ou plutôt d’aboiement, ou plutôt de mugissement, nous y sommes presque, de rugissement, ou plus exactement de barrissement, oui, c’est le mot, une espèce de piaillement.

Il en va ainsi tout le long du livre où l’on a, au détour d’une phrase, affaire plutôt à un mollusque, plutôt à une baleine, à un poussin sorti de l’oeuf, ou un monstre tout droit sorti d’une mythologie inédite. Peu importe, en effet, puisque ce que semble nous dire le livre, c’est la difficulté de la description, l’impossibilité d’une vérité. C’est le mot.
Pour la fine bouche, ce passage qui m’a donc fait rire, mais qui me semble plus puissant dans le contexte.

Pierpont refuse d’utiliser l’acide sulfurique, même à des fins expérimentales pacifiques. Zeiger, au contraire, vante les mérite de ce procédé, très en vogue cez les grenouilles, qui permet des observations immédiates, répétées à loisir, grâce auxquelles les écoliers apprennent à développer leurs réflexes et à répondre intelligemment aux stimuli. Reconnaisons que rien n’est plus drôle. Quelques gouttes d’acide provoquent un enchaînement de gags visuels irrésistibles, on se croirait revenus à la grande époque du muet : la grenouille aspergée s’arrache de la planchette de liège sur laquelle elle reposait, indolente, punaisée, décorative, bondit comme si elle avait la fève ou le numéro gagnant ou la solution à tous ses problèmes, bouleverse le laboratoire, sautille incontrôlée au milieu des cornues, se livre sans y croire à des expériences chimiques, alchimiques, obtient des précipités noirs, arc-boutée au bec Bunsen, elle fond du plomb, du cinabre, au petit bonheur, sirote des alcools pétillants, obtient de l’or liquide et de l’eau régale, avale le mélange, obtient cette fois une épaisse fumée rousse, hilarante et lacrymogène, qui ne laisse en tout cas personne indifférent – son numéro s’achève lorsqu’elle implose, heureusement on en a plein d’autres, toute une caisse.

J’adore.

Palafox, Eric Chevillard, éditions de Minuit.

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