– L’écriture fout la merde à tous
les niveaux ; pensez aux arbres qu’il a fallu abattre pour le papier,
aux emplacements qu’il a fallu trouver pour stocker les livres, au fric que leur
impression a coûté, au fric que ça coûtera aux éventuels lecteurs, à l’ennui
que ces malheureux éprouveront à les lire, à la mauvaise conscience des
misérables qui les achèteront et n’auront pas le courage de les lire, à la
tristesse des gentils imbéciles qui les liront sans les comprendre, enfin et
surtout à la fatuité des conversations qui feront suite à leur lecture ou à
leur non-lecture. Et j’en passe ! Alors n’allez pas me dire que l’écriture
n’est pas nocive.
– Mais
enfin, vous ne pouvez pas exclure à 100% la possibilité de tomber sur un ou
deux lecteurs qui vous comprendront réellement, ne serait-ce que par
intermittence. Ces éclairs de connivence profonde avec ces quelques individus
ne suffisent-ils pas à faire de l’écriture un acte bénéfique.
– Vous
déraisonnez ! Je ne sais si ces individus existent mais, s’ils existent, c’est
à eux que mes écrits peuvent nuire le plus. De quoi croyez-vous que je parle
dans mes livres ? Vous vous imaginez peut-être que je raconte la bonté des humains
et le bonheur de vivre ? Où diable allez-vous chercher que me comprendre rend
heureux ? Au contraire !
– La
connivence, même dans le désespoir, n’est-elle pas agréable ?
– Vous
trouvez ça agréable, vous, de savoir que vous êtes aussi désespéré que votre
voisin ? Moi je trouve ça encore plus triste.
– En
ce cas, pourquoi écrire ? Pourquoi chercher à communiquer ?
–
Attention, ne mélangez pas : écrire, ce n’est pas chercher à communiquer. Vous
me demandez pourquoi écrire, et je vous réponds très strictement et très
exclusivement ceci : pour jouir. Autrement dit, s’il n’y a pas de jouissance,
il est impératif d’arrêter.
Amélie Nothomb, Hygiène de l’assassin. Son premier roman, et sans doute le meilleur.
Un des meilleurs, ça c’est sur!