C’est facile d’écrire. C’est facile d’avancer sur les lignes et de les remplir. De les suivre de la gauche vers la droite et du haut vers le bas. Il suffit de commencer par l’une de ces formules introductives, "C’est" ou "Il y a", une de ces formules commodes, éprouvées, neutres, qui lancent la machine du texte et aussitôt, quelques mots s’agrègent, s’agglutinent, forment un premier pont sur lequel d’autres mots s’engagent et s’ordonnent pour construire la longue chaîne d’une phrase. En fin de course elle s’immobilise sur un point. Elle n’ira pas plus loin. Mais le sens déborde sur sa lancée, saute l’obstacle et suscite une nouvelle phrase pour poursuivre sa carrière et propager l’incendie, le fil de feu. Et dans ce mouvement les mots s’accumulent, et les espaces entre les mots, les signes de ponctuation. On passe d’une ligne à l’autre comme d’une heure à l’autre ou du jour à la nuit, par glissement, de proche en proche, sans l’avoir vraiment voulu. La page se remplit, on est déjà à sa moitié, on a passé la pliure médiane. Lorsqu’on atteindra le bas, la main remontera d’un coup vers le haut de l’autre page, comme sous le mouvement d’une vague, on se laissera porter sur la suivante.