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L’imbécilité de la critique

Quelques injures, beaucoup de niaiseries, voilà donc tout
ce que j’ai lu jusqu’à ce jour sur mon oeuvre. Je le dis ici
tranquillement, comme je le dirais à un ami qui me demanderait dans
l’intimité ce que je pense de l’attitude de la critique à mon égard. Un
écrivain de grand talent, auquel je me plaignais du peu de sympathie
que je rencontre, m’a répondu cette parole profonde : "Vous
avez un immense défaut qui vous fermera toutes les portes : vous ne
pouvez causer deux minutes avec un imbécile sans lui faire comprendre
qu’il est un imbécile. "
Cela doit être ; je sens le tort que
je me fais auprès de la critique en l’accusant d’inintelligence, et je
ne puis pourtant m’empêcher de témoigner le dédain que j’éprouve pour
son horizon borné et pour les jugements qu’elle rend à l’aveuglette,
sans aucun esprit de méthode. Je parle, bien entendu, de la critique
courante, de celle qui juge avec tous les préjugés littéraires des
sots, ne pouvant se mettre au point de vue largement humain que demande
une oeuvre humaine pour être comprise. Jamais je n’ai vu pareille
maladresse. Les quelques coups de poing que la petite critique m’a
adressés à l’occasion de Thérèse Raquin se sont perdus, comme toujours,
dans le vide. Elle frappe essentiellement à faux, applaudissant les
entrechats d’une actrice enfarinée et criant ensuite à l’immoralité à
propos d’une étude physiologique, ne comprenant rien, ne voulant rien
comprendre et tapant toujours devant elle, si sa sottise prise de
panique lui dit de taper. Il est exaspérant d’être battu pour une faute
dont on n’est point coupable. Par moments, je regrette de n’avoir pas
écrit des obscénités ; il me semble que je serais heureux de recevoir
une bourrade méritée, au milieu de cette grêle de coups qui tombent
bêtement sur ma tête, comme des tuiles, sans que je sache pourquoi.

Il n’y a guère, à notre époque, que deux ou trois hommes qui puissent lire, comprendre et juger un livre.
De ceux-là je consens à recevoir des leçons, persuadé qu’ils ne
parleront pas sans avoir pénétré mes intentions et apprécié les
résultats de mes efforts. Ils se garderaient bien de prononcer les
grands mots vides de moralité et de pudeur littéraire ; ils me
reconnaîtraient le droit, en ces temps de liberté dans l’art, de
choisir mes sujets où bon me semble, ne me demandant que des oeuvres
consciencieuses, sachant que la sottise seule nuit à la dignité des
lettres.

Emile Zola, Préface à Thérèse Raquin

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