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5 avril – Irène

C’est la cohue, le rush, presque l’émeute au rayon viandes. Il faut s’en approcher, s’y glisser, s’y faufiler… Longtemps qu’on n’avait pas vu ça, et les végans les plus convaincus se pressent comme les autres, et jouent des coudes, et sortent les dents. Il n’y en aura pas pour tout le monde ! Laissez-en pour les autres ! J’ai des enfants, pensez aux enfants ! Les femmes et les enfants d’abord ! Dégage ! Et l’on ne s’épargne aucune insulte et se bouscule, et se marche sur les pieds. Ressortent de la mêlée, tels des rugbymans courbés sur leur ballon, des mères de familles aux yeux révulsés, des sexagénaires au chignon ébouriffé, des unijambistes au ricanement strident : ils ont réussi à attraper du bout des doigts le paquet convoité, la barquette espérée, le colis lorgné depuis l’entrée du supermarché. Les plus costauds en ont un sous chaque bras, et le sourire carnassier de ceux qui ont réussi dans la vie et auxquels il ne faut pas chercher noise. Les gens sont fous, se dit Irène, qui renonce à la bagarre : trop risqués ces six faux-filets.

2 réflexions sur “5 avril – Irène”

  1. Un Sous-Préfet traversant le Pays de Bray, aimait dire qu’il entendait l’herbe pousser. Dès que la terre se réchauffe, la végétation explose pour la joie des vaches laitières et aussi des baby-boeufs introduits pour contrer les quotas laitiers. C’est le temps des beurres les plus goûteux et des neufchâtels les plus parfumés. Dans quelques semaines ce sera le cas et, en dégustant la pièce de viande, je pourrai rêver au chant de l’herbe du paysage brayon.

  2. François Bailly

    C’est devenu un rituel, chaque matin je regarde la nouvelle publicité qui m’est annoncée par le petit f de Facebook sur mon téléphone. Déjà ma journée ne serait plus la même si cette photo ne me parvenait plus. Immédiatement après je regarde la météo réactualisée pour savoir si je rentrerai gelé ou trempé de ma sortie hebdomadaire. Fin de mes rites du matin. Ensuite il faut extraire de mon cerveau l’association d’idées provoquée par cette photo, tantôt devant mon ordinateur, tantôt sur mon téléphone en haut du col du Lautaret ou dans un TGV à grande vitesse, peu importe. Aujourd’hui cette viande me fait immédiatement penser aux recommandations du GIEC et aux effets de la guerre d’Ukraine. Nous n’aurons pas assez de nourriture pour alimenter notre bétail en France cette année et les experts nous incitent à manger moins de viande pour lutter contre le réchauffement climatique. C’est donc peut-être la dernière fois que je verrai le kilo de bœuf à ce prix. Peut-être avril 2022 restera un repère dans l’histoire mondiale, celui à partir duquel le viande ne cessera plus de devenir rare et chère, même pour les pays riches.

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