Il s’agit de vivre sans toi. Sans toi toujours à l’esprit. Sans toi à l’angle de chaque rue, dans le reflet de chaque vitrine, le souvenir accroché aux carrefours, aux tables des cafés, aux plats des restaurants, sans toi dans la découpe des nuages, sans ta nuque dans la nuque de dizaines de passantes, sans ton rire entendu aux terrasses, aux balcons, sans ta silhouette au loin, ta démarche entr’aperçue mille fois, sans tes yeux dans le gris des pavés, le gris des façades, la poussière. Il s’agit de vivre sans toi. Sans l’espièglerie, les sous-entendus, les sourires, sans la main posée sur l’avant-bras. Sans les rêves, les mirages, les interdits. Sans toi. Sans le roman, l’imaginaire, les ombres et les fantômes. Sans les échos, les impromptus, les espoirs. Vivre. Sans toi dans les slogans qu’affiche la ville, sans les oiseaux qui disaient tous ta présence et se sont tus, sans le vent qui portait la discrétion de ton parfum. Vivre sans toi en point de fuite, en point de chute, en point de repère. Vivre sans appui, sans refuge, sans horizon, sans chemins de traverse. Vivre sans rêve inatteignable. Sans l’illusion et la magie des lumières. Sans toi, vivre sans étincelle, sans folie, sans même le pétillement subtil des rayons du soleil à travers les feuillages. Sans poésie et sans surprise. Vivre l’automne sans son flamboiement. L’hiver sans son mordant. Sans imaginer le printemps. Vivre même sans la brume et le flou. Vivre. Seulement.