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172 – L’ombre

Ce dont l’homme s’éloigne continue de le poursuivre longtemps et s’il n’y prend garde le rattrape : il ne peut ralentir ni s’arrêter sans risque, l’ombre arriverait sur lui massive et opaque pour recouvrir de noir le filet de lumière auquel il s’accroche encore. Alors il fuit, traverse la rue, longe l’avenue, court vers les zones commerciales, et bientôt échappe à la ville dans laquelle chaque façade était un piège sur lequel l’ombre se réfléchissait. Il emprunte les chemins et bientôt les sentiers à travers bois, évitant les axes aux voies multiples pour se fondre dans la nature. Il coupe par les fourrés, se faufile entre les ronces, enjambe les troncs abattus par le vent, patauge dans les marais. L’ombre semble toujours sur ses talons, il ne peut souffler un instant sans risque : la nuit est là qui le happerait. Mais il s’essouffle, des crampes lui mordent le mollet, il doit s’asseoir un moment. Juste un moment. Il a mis tellement de distance entre la ville et lui. Personne n’aurait pu le suivre. Mais l’ombre ? L’ombre ne le suit pas, il lui fallait tout ce temps et cette distance pour comprendre. L’ombre ne le suit pas et jamais il n’y échappera. Parce qu’elle est déjà en lui. Où qu’il se cache, quoi qu’il fasse, partout elle le devancera. Au fin fond d’une grotte perdue, l’ombre sera tapie et fondra sur lui dès ses paupières baissées de fatigue. Jamais il ne se réveillera.

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