Il faudra qu’un jour il puisse commander un tiramisu sans penser à toutes ces fois où « je n’aurais pas pris ça », dans sa bouche, et elle avait raison. Qu’un jour il puisse partager un dessert avec quelqu’un sans penser à toutes les fois où, c’était presque devenu un rituel, il était partagé. Et il faut bien admettre qu’il n’a ce souvenir avec personne d’autre. Il faudra qu’un jour il pense Perec sans ce banc partagé au bord de la Seine où l’on tenta d’épuiser le sujet. Et, ça, on l’a épuisé, le sujet. Il faudra que les îles flottantes aient fini de flotter.
Il faudra qu’un jour il regarde cet immeuble sans les larmes et le serrement au coeur. Puisqu’il sait maintenant que les larmes coulent en permanence, et que celles qui ne sortent pas vous noient de l’intérieur. Il n’y a jamais personne pour entendre un noyé crier.
Il faudra qu’il passe dans ces villes et ces villages le long du fleuve en oubliant qu’il les a arpenté avec d’autres, et que la forêt, même la forêt, lui rappelle les derniers sourires possibles ensemble.
Il faudra bien qu’un jour tout cela soit loin derrière. Les moments partagés à attendre et la soirée de fête quand on avait gagné, parce qu’on avait gagné, souvenez-vous, et c’était le plus beau jour possible.
Il faudra que les lieux aient tous été rasés, reconstruits, repeints, puis rasés encore une fois et que rien ne rappelle plus la futurologie, les fins de soirées, les bateaux sur le fleuve. Il faudra les ponts ensevelis, les places inondées, et que les ruines se désagrègent enfin.
Il faudra que les danseuses s’effacent, que les acrobates tombent, que les projecteurs s’éteignent et que les buffets enfin dégarnis soient démontés.
Il faudra que ce qu’il prenait pour de l’amitié se perde dans les méandres du passé.
Alors, alors peut-être… Comment en être sûr ? Alors, il pourra respirer.
