Correspondance sans correspondante. Lettres en poste restante. Missive to miss. Je ne sais pas si c’est une nouvelle série. Mais je t’écris. Peut-être que tu te reconnaîtras, si tu existes ailleurs que dans ces lettres.
Tu,
D’une lettre à l’autre, le temps passe et j’ignore si tu es la même ou si tu changes, toi aussi. Tu es si lointaine et silencieuse : faudrait-il que tu sois semblable ?
J’ai aperçu quelques images de toi et tu as perdu ce sourire que tu portais lorsque nous nous parlions encore. Quelque chose s’est cassé, ou quoi ? Je n’ai aucun indice. Rien qui couvre mon inquiétude.
Ici, les choses n’ont pas bougé. Pas de nouvelles particulières. Les mêmes impossibilités, toujours, et les incapacités qui durent. On s’habitue à ce que rien ne puisse être comme avant. Toujours la même image : avoir été amputé. D’une partie du cœur ou du cerveau. Ça ne tient plus en équilibre. La chute comme état normal.
La chute et les larmes. Elles ne se voient que rarement, mais je n’ai pas cessé de pleurer. C’est à l’intérieur de moi, derrière un masque que j’arrive à rendre aimable, parfois souriant. C’est une dépense d’énergie qu’il ne faut pas sous-estimer.
Je me tais. Tu as remarqué mon silence ? J’apprends à ne plus dire les choses. Je joue les statues de marbre. Que j’aimerais ça, rester de marbre. Froid, immobile, distant, inatteignable. J’ai peut-être su, avant.
Toi, tu saurais me conseiller. J’ai toujours écouté du mieux que je pouvais ce que tu avais à me dire. Petit garçon, déjà, j’essayais de canaliser ma colère. Ce n’était pas toi, mais j’écoutais. Je venais écouter. J’ai toujours eu besoin d’écouter. Et qu’on ne me juge pas.
Ce que j’ai perdu en te perdant est incommensurable. C’est ce que j’ai toujours fini par perdre. C’est de toi que j’ai été amputé. Tu n’y es pour rien. La greffe n’a pas pris. Pas le bon moment, pas les bonnes conditions, rien qui aille comme il aurait fallu.
Tu es la douleur fantôme. Ou son reflet.
Je devrais prendre garde à ce que mes lettres soient plus intelligibles ? Elles disent exactement ce qu’elles doivent dire. Et un peu plus, sans doute, car ce qu’on écrit dit toujours un peu plus qu’on voudrait.
J’espère bientôt de tes nouvelles.
S.