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239 – Correspondance 5

Correspondance sans correspondante. Lettres en poste restante. Missive to miss. Je ne sais pas si c’est une nouvelle série. Mais je t’écris. Peut-être que tu te reconnaîtras, si tu existes ailleurs que dans ces lettres.

Toi,

Tu me manques le matin. Tu me manques le soir. Le manque existe d’abord pour les addictions, non ? Mais ce n’est pas cela. La période de sevrage est largement dépassée. Il faut croire que, parfois, il s’agit d’autre chose.

Tu me manques, et c’est ce que je peux faire de mieux pour toi. Là aussi un paradoxe : je n’ai rien à t’apporter que ma distance et mon silence, rien à t’offrir de plus beau que mon inexistence.

Je ne tire nulle gloire de mon sacrifice, aucune vanité : il n’y a que souffrance muette, et je trahis ce mutisme dans cette lettre, juste là, à la limite floue de la fiction et du réel. Dans l’ambiguïté assumée de la littérature. C’est mon refuge, ma safe zone, là où rien ne peut m’atteindre.

Je suis le silence et l’invisible. L’aboli. Celui qui n’existe plus, qu’on n’entend plus, que tu ne vois plus, qui a disparu. Je suis le souvenir qui s’efface, l’accident dont on masque les traces, le secret qui se perd et dont personne ne parle plus.

Toi, tu ne disparaîtras pas. Je prends grand soin de ton image vivante et de tous mes souvenirs. Je repasse en boucle les scènes et j’écris les futurs qui se sont perdus en route. Tu n’as jamais autant existé. Tu n’a jamais eu plus d’importance que tu en auras demain.

Il est sans doute aussi bien que tu ne saches rien de ma folie. Tu es ma liberté et ma prison. Mon rêve éveillé, mon soliloque, le flux maîtrisé de mes images mentales. Rien n’a plus de place que ce désastre que j’entretiens avec application.

Il n’en sortira rien que ces lettres, quelques poèmes, une poignée de romans.

Et, pour moi seul, la chaleur, les couleurs, les lumières tournoyant sous les ponts. Pour moi seul la douleur discrète qui tétanise, pour moi seul ce qui paralyse au moindre écho du réel qui se plait à tendre le piège des ressemblances : les lieux, les profils, les phrases et les intonations. À bien y regarder tu es partout, sublime et fidèle à toi même. Aucun moyen que je t’échappe.

Tu m’accompagnes en notre absence.

S.

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