Site icon Sébastien Bailly

De qui se moque-t-on ?

Xavier Gorce se serait hasardé à  » se moquer des victimes d’inceste ». C’est amusant. Pas de se moquer des victimes de l’inceste. Mais que son dessin ait été analysé comme tel. Enfin, je ne suis pas sûr que ça amuse Xavier Gorce.

C’est compliqué l’humour. Pas simple à manipuler. Et certains sujets sont plus aptes que d’autres à vous péter à la figure. L’inceste, en ce moment ? S’en offusquer. C’est une horreur. On est d’accord là-dessus. (On ne devrait même pas avoir à le dire).

Mais la question est de savoir de qui se moque Xavier Gorce. Des victimes, ou des bourreaux ? Des victimes ou de ceux qui trouvent des excuses à leurs tortionnaires ?

C’est parce que tout le monde n’a pas réussi à donner la bonne réponse à ces questions que le truc a dégénéré et que Xavier Gorce a finalement quitté Le Monde (de son propre chef, je ne refais pas l’histoire).

Donc non, Xavier Gorce ne s’est pas moqué des victimes de l’inceste. Il n’est pas du côté des méchants qui veulent abuser des enfants. Il ne justifie rien. Xavier Gorce se moque d’un discours, du discours de dominants qui profitent de la recomposition des familles pour diluer la gravité de l’inceste.

Il met l’interrogation dans la bouche d’un enfant (pingouin, ça place normalement la distance, mais ça n’est peut-être plus assez clair). Des mots d’enfant, des interrogations d’enfants, d’enfants perdus, victimes d’un discours qui leur fait perdre leurs repères, le discours de ceux qui voudraient diluer la gravité de l’inceste dans les liens plus flous des familles recomposées.

Le dessin a un titre. Personne n’en parle du titre : Repères familiaux. Et c’est bien de ceux qui tentent de brouiller ces repères qu’il est question.

Est-ce que le dessin est drôle ? Est-ce qu’il est bon ? Sans doute que pas tout à fait : le dessin a atteint son objectif, faire réagir à un discours, mais, pas de bol, les destinataires n’arrivent manifestement plus à distinguer qui parle, dans ce dessin, ni pour quoi. La faute en revient-elle à celui qui a dessiné ou à celui qui regarde ? Un peu aux deux ?

Il m’est arrivé, en plusieurs lieux moins prestigieux que Le Monde, de devoir choisir des dessins de presse pour parution, d’en écarter d’autres, de décider parfois qu’un dessin allait trop loin dans la provocation et d’en choisir un autre. On n’a pas à tout publier partout : je le sais bien. Je sais ce qu’est une ligne éditoriale, et je comprends que Le Monde aurait pu choisir de ne pas passer celui-là, et que la rédaction souhaite mettre en place des procédures pour éviter de publier ce qui ne serait pas conforme à sa ligne éditoriale.

Mais ce dessin, même si l’on considère qu’il n’est pas très bon (et on en a bien le droit) ne méritait pas les réactions qu’il a provoqué, et qui n’ont rien à voir avec son intention.

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