Site icon Sébastien Bailly

Février 2023

Tu ne sais pas si ton contrat sera reconduit. Les choses se sont passées de telle façon que tu ne sais même pas si tu veux continuer. Tu le dis en février 2023. Il y a cette phrase terrible : si je continue comme ça, ce sera l’AVC ou l’infarctus. Tu sais précisément où et à qui tu as dit cette phrase, au moment de prendre la décision.

Tu te souviens précisément de ton incertitude et de celles avec qui tu en as parlé, et où et quand. Tu te souviens qu’on t’a dit : « ils mériteraient que tu ne continues pas ».

Ce n’est que pour quelques mois, une dizaine. Tu penses que tu tiendras ? Tu négocies une réorganisation. Tu crois qu’on respectera le planning. On te propose une prime. Tu acceptes. Tu as pu dire des choses. Tu as le sentiment d’avoir été entendu. Et tu sais l’image que ce serait de ne pas rempiler, à quelques jours d’une échéance capitale pour le projet. Alors tu rempiles. Tu ne t’écoutes pas.

Tu rempiles et tu veux y croire.

Quatre mois plus tard, tout s’effondre. Il te faudra plusieurs semaines pour remonter le fil de la catastrophe annoncée, pour revenir à février, et avant, puis pour comprendre le lien avec la souffrance de l’équipe en janvier (« tu t’es fait le porte-parole de la souffrance de l’équipe », j’ai encore le mail, évidemment).

Est-ce que je pouvais abandonner mon poste fin février ? Non. Je ne crois pas que c’était envisageable. Pas à ce moment-là.

J’aurais dû, pourtant. Ça n’aurait pas été pire. Mais ça, comment le savoir ?

Il faut que je garde traces de tout cela, trace des mécaniques, trace des enchaînements. Je sais où ça m’a mené. Je sais aussi qu’il ne faut pas perdre la trace de ces émotions. Elle sont désespérantes et puissantes, elle m’ont atteint au plus profond, elles sont une matière dont il faudra que je fasse quelque chose. C’est la seule façon de leur donner un semblant de sens.

J’en ferai un roman. Forcément.

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