18/1/22
La valeur hypothétique du futur antérieur. “Il aura passé la douane à un autre poste frontière” : là-dessus que je vais appuyer, ce soir, l’atelier d’écriture mensuel. La forme tombe en désuétude, il me semble. Pourtant, c’est une forme que je trouve forte, et qu’Anne-James Chaton convoque dans L’Affaire La Pérouse sur lequel je vais m’appuyer. Très curieux, comme toujours avant l’atelier, de voir comment les participants vont se saisir de la base technique de la proposition (quand il y en a une, pas toujours, mais là, oui). Trouver les mots pour leur faire entendre la force d’un texte qu’il n’ont pas écrit, qu’ils ne savaient pas forcément qu’ils pouvaient écrire. Ce soir, donc, le futur antérieur pour dire ce qui s’est peut-être passé. Un futur pour dire un passé qui n’a peut-être pas eu lieu. Je trouve ça alléchant.
19/1/22
Comme à chaque fois en atelier d’écriture, des surprises, de l’inattendu et vraiment de très belles choses avec des contrastes et des univers différents d’une participante à l’autre. Et, comme souvent, je n’avais pas vraiment envie que ça s’arrête. Alors oui, je ne sais pas où la proposition va nous amener, mais c’est ça aussi l’intérêt de la manœuvre, que chacun explore un terrain neuf, et que se produisent des textes qu’on n’aurait pas écrit ailleurs, à un autre moment. Reste à imaginer maintenant la proposition du mois suivant. Je pense que ce rythme est bon. En tout cas, il me convient. Chaque mois une proposition inédite à partir de laquelle faire écrire dix à douze personnes heureuses de se réunir pour ça. Continuer.
20/1/22
Trois secondes. C’est exactement le temps que j’ai pour convaincre quelqu’un qui commence à regarder une vidéo du projet “Le Catalogue 2022” sur Youtube de regarder jusqu’au bout. Les spectateurs qui restent plus de trois secondes sont en effet ceux qui iront quasiment jusqu’à la fin. D’où des questions. Cela doit-il influencer, ou pas, ma façon d’écrire ? Faire en sorte que la toute première phrase hameçonne, tienne en haleine, attrape par le col ? Si tout se joue là, dois-je accepter d’en tenir compte ou alors, tant pis, on se moque de la réception du texte, et on fait bien comme on veut. Les contraintes de réception ont toujours influencé la forme non ? Alors oui, peut-être, conscient des statistiques de visionnage, faire évoluer les choses pour gagner un peu de visibilité. Ça fait partie du jeu, et on va donc essayer des trucs, et regarder ce que ça change. Je tente des accroches plus efficaces pour la semaine prochaine.
21/1/22
Il faut trouver un nouveau texte sur lequel appuyer le prochain atelier d’écriture. Je me suis imposé un travail sur la littérature contemporaine, qui n’exclut pas des incursions dans des paysages plus lointains. C’est une façon de m’assurer de ne pas marcher trop effrontément dans des pas qui m’auraient précédés. Je propose un atelier qui n’aurait pas été fait ailleurs, par d’autres, de l’inédit, et cela met une pression, forcément, et m’empêche d’aller puiser dans des ressources disponibles. M’oblige à lire aussi. A me tenir un peu au courant, à chercher, et rien que cette activité maintient un peu en éveil. L’atelier d’écriture comme une obligation : ne pas se reposer sur les acquis, ne pas s’endormir. Lire, repérer les possibilités, les techniques à l’œuvre. C’est un travail, quoi.
22/1/22
Un jour, tu es écrivain. Il faut arrêter de tourner autour du pot. Longtemps, tu as affirmé, et ce n’était pas de la fausse modestie : c’est aux autres de dire si je le suis ou non. Il te fallait une cooptation. Et puis on t’a appelé écrivain. Ça t’a fait plaisir, mais tu n’étais pas prêt, ce n’était pas encore ça, c’était plaqué sur toi parce que tu as publié, oui, tu as écrit, beaucoup. Mais tu n’étais pas encore écrivain. Pourtant, un jour, et ça a pris du temps, et ce temps était nécessaire, tu es à deux doigts de pouvoir le dire : “je suis écrivain”. C’est encore un peu bizarre aujourd’hui. Et pourtant, tu écris tous les jours, et des gens te lisent. Mais il y a encore une mince paroi à briser, une cloison à faire voler en éclats. Tu es juste derrière, c’est encore légèrement flou, mais ça s’approche. Demain, ou un peu après, tu pourras peut-être le dire : ça y est, je suis écrivain. Brise-là, cette putain de cloison. Et tu t’apercevras peut-être que tu l’as toujours été, écrivain. Et que ce n’est rien. Comme le reste.
23/1/22
De l’audience. Est-ce qu’il faut de l’audience ? Quelle est la nécessité d’avoir des lectrices, des lecteurs, des spectatrices, des spectateurs ? Faut-il arrêter d’écrire, d’enregistrer, de diffuser si personne ne lit, si personne ne regarde ? Si personne ou presque ? Est-ce qu’on fait ça pour que des gens le voient ? Pour que des gens aiment ça ? Est-ce que ça a plus de sens si l’on est aimé ou critiqué et si on entend des voix répondre à ce qu’on projette à l’extérieur ? Est-ce que ça aurait plus de sens d’éviter que ce soit vu ou lu en le rendant disponible seulement dans quelques interstices où il faudrait vraiment le vouloir pour y accéder ? Faut-il faire en sorte que le public soit limité en nombre ? Faut-il continuer d’écrire ce que personne ne lit ? Cesser toute activité au prétexte qu’elle est plus encore que solitaire, mais l’expression même d’une solitude ontologique ? Ne rien faire plutôt que quelque chose, qu’est-ce que ça change ? Ben ça occupe, mon gars, et tu ne peux pas savoir ce que ça fait avant de l’avoir fait. Alors, fonce.
24/01/22
Dans Lambeaux, de Charles Juliet, l’usage de la seconde personne du singulier comme voix de narration. Le lecteur n’est pas interpelé comme c’est le cas d’autres fois, mais sentiment profond d’assister en témoin indiscret à un monologue adressé à une autre. Il n’implique pas le lecteur comme la seconde personne de La Modification de Butor. Le texte est fort, mais il n’y a aucun doute, à aucun moment, ce tu ne peut pas être moi alors que le personnage de La Modification, c’est parfois moi, ou celui de Un homme qui dort de Perec, aussi. Une histoire de technique de narration ou juste que je suis plus loin du personnage de Juliet que des autres ?