Site icon Sébastien Bailly

Journal – août 2024

1er août

Regarder les Jeux olympiques en cherchant les sujets qui pourraient donner lieu à un poème pour la couverture collective de l’événement avec l’association Écrire le sport. J’ai beaucoup écrit de poèmes (et depuis un an comme à l’adolescence) mais première fois qu’on vient me chercher pour participer à une chose de ce type. Qu’est-ce qui peut donner lieu à poème ? Tout, en fait, puisqu’ici tout est récit qui se construit, émotion qui se partage et, surtout, qu’en se réalisant tout devient matière à langage. La geste, au sens initial, « ensemble de poèmes en vers du Moyen Âge, narrant les hauts faits de héros ou de personnages illustres », c’est un piste possible. Mais il y en a d’autres.

2 août

Plan ou pas ? Comment on écrit un roman ? Hier, animation de webinaire avec une douzaine de stagiaires. Autant de réponses que de personnes. On parle tambouille, cuisine. Certains voudraient des recettes. Il en existe. J’insiste sur le plaisir de l’écriture, la joie du texte qui prend son autonomie. On parle aussi réécriture, relecture. Les mêmes problèmes partagés quand on écrit.

3 août

Réactions négatives intéressantes à la promotion de ma formation « Écrire un roman avec ChatGPT ». L’idée qu’un roman produit par l’IA puisse avoir un intérêt chagrine certains. Cela m’oblige à préciser pourquoi, moi, ça m’intéresse. D’abord par intérêt pour les techniques d’écriture. Ce n’est pas nouveau. Et l’IA générative est une façon d’écrire. Une façon différente, dont on a le droit de trouver que les résultats laissent encore à désirer, mais qui tient déjà bien des promesses. L’IA écrit mieux que la plupart des gens que je côtoie. Et ses fonctions de base améliorent même les productions de celles et ceux qui écrivent fort bien. Mais le roman ? Est-ce qu’on ne touche pas là à quelque chose de sacré ? La production littéraire n’est-elle pas le propre de l’humanité ? Aujourd’hui, les modèles d’IA disponible écrivent des textes mieux fagotés qu’une partie de la production humaine. Il ne faudra pas longtemps aux éditeurs les plus commerciaux pour s’en rendre compte. Impossible de dire quand l’IA écrira des textes plus intéressant littérairement que le Goncourt de l’année, mais cela arrivera. Et quand l’IA fera-t-elle avancer la littérature en créant une avant-garde ? On a peut-être un peu de temps… Sauf que derrière chaque production de l’IA, il y a une personne, et que l’IA n’est qu’un outil entre ses mains. Je dirais que tout cela pourrait aller plus vite qu’on imagine. Tout va plus vite qu’on imagine dans ce domaine. L’IA générative permet de créer du texte à partir de texte (et d’image, et de vidéo, et de sons)… L’outil, bien utilisé à partir d’une matière produite pour cela, ou choisie pour cela, produira vite des choses intéressantes. J’en suis persuadé. Parce qu’il y aura des hommes et des femmes derrière.

4 août

Poursuite des poèmes de Jeux Olympiques avec le collectif réuni par Ecrire le sport. J’explore. Ce matin, rédaction d’un texte hommage à la sabreuse ukrainienne Olga Kharlan. Poème politique, donc. Il y a des émotions tellement différentes à l’oeuvre d’une épreuve à l’autre que les possibilités de texte sont énormes. Et donc, c’est l’occasion d’explorer, thèmes et émotions. Formes, également. Je me prends au Jeux ? Oui, j’avoue. Cela reste un exercice. Mais en tant que tel, il offre de belles possibilités. Et mes camarades de jeux brillent pas mal, je trouve.

5 août

Je fais hier écrire à l’IA (Claude 3.5 sonnet) un texte de littérature contemporaine. Résultat surprenant : déstructuré mais cohérent, avec des explications rationnelles, une mise en page, des jeux sur les mots, un travail sur les polices de caractères : plusieurs paliers franchis par rapport à ce que j’ai pu produire jusque-là. La littérature est dans le viseur de l’IA générative.

6 août

La suite de l’expérience avec Claude 3.5 sonnet sur la littérature contemporaine m’époustoufle. Je vais poursuivre aujourd’hui. Je ne sais que penser mais les textes produits sont très intéressants. Trop ?

7 août

J’avais commencé à écrire ici, ce qu’il s’est passé il y a un an. Il se trouve que la violence subie a été telle qu’il faudra bien raconter un jour. Mais non, pas encore. Revivre l’anniversaire de chaque journée sera bien suffisant. Ce n’est peut-être pas ici que je raconterai. Cette violence est pour moi encore impossible à comprendre. C’est peut-être dans la fiction qu’elle trouvera sa place. Mais je ne pense pas qu’elle me sera jamais compréhensible.

8 août

Au mémorial de Caen, exposition sur les États-Unis de 1919 à 1944. Avant guerre cette déflagration de la crise, puis le New deal de Roosevelt. Belle expo. Parmi les objets, un carnet de Steinbeck. Pages remplies d’une écriture uniforme, sans marge, sans rature. Le texte comme une matière qui remplit tout l’espace. Cette matérialité du texte, du texte manuscrit. On ne l’a plus quand on écrit directement à l’écran. On y perd quelque chose, peut-être (je sais tout ce que j’y gagne). Reste le carnet dans la poche. Que j’utilise peu, ces temps-ci, et que tend à remplacer le téléphone. Plein d’autres choses dans l’expo, mais une émotion particulière devant ce large carnet, plutôt un cahier.

9 août

Il n’y a rien qui va dans cette histoire. Rien. Plus je remonte dans le passé, plus j’écris des brides de tout cela, plus la catastrophe me semble annoncée, prévisible. Me manquent beaucoup de réponses. Mais j’en ai une, et c’est la part de faute que je prends : j’aurais dû fuir, quitter ce poste. J’aurais surestimé ma capacité de résistance, sous-estimé leur capacité de nuisance ? Je ne peux même pas dire ça : je savais le risque. Je n’imaginais juste pas la forme que cela prendrait.

10 août

Cela occupe toujours mes rêves. Nuits agitées lors desquelles je croise les anciens collègues. Cette nuit, j’étais combatif, défendais ma position. L’autre évidemment refusait toujours de comprendre. L’énergie des émotions est toujours là. J’aimerais qu’elle se retrouve autant dans mes textes que dans mon sommeil paradoxal. Réussir à canaliser les émotions, les passer par l’alambic de l’écriture, en extraire le distillat. Alcools.

11 août

Le soleil sur la brique des maisons en chantier. Plus de 30º annoncés. C’est trop. Mais fraîcheur encore avant que la vague arrive. Il sera difficile d’écrire. Où es-elle ? Le fou échafaude, imagine, romance : où est-elle ? Que fait-elle ? Comment se protège-t-elle de la chaleur et du soleil ? Que boit-elle ? Le soleil commence à chauffer la véranda où j’écris. Et ces premiers rayons suffisent à la première page de la journée. Tous les petits matins silencieux dans toutes les maisons de vacances m’accompagnent.

12 août

Le roman change de nature en s’écrivant : il faudra tout reprendre. Une idée s’ajoute aux autres. Toute la perspective change. Plus aucune idée de ce que cela donnera à la relecture. C’est le moment où le texte n’en fait qu’à sa tête. Le moment où il s’échappe. C’est déjà arrivé : c’est le texte qui se met à produire des effets sur moi bien plus que l’inverse. Je ne sais pas si c’est une expérience partageable. A un moment, il se produit une autonomie du texte. Et c’est le texte qui change l’auteur plus que l’inverse. Déjà vécu ça.

13 août

Le temps nécessaire à la reconstruction.

Un merle solitaire, depuis un mois, picore dans l’herbe du jardin. Compagnon du matin. Sautillements, coups de bec. Il ne craint rien. Il est chez lui. Je suis à quelques mètres, si calme que cela ne le dérange pas. Ni les cris des goélands qu’on n’a jamais vus là. Il vient de voler jusqu’en haut du mur. Il plonge chez la voisine. Infidèle.

14 août

Quelle chance, cette liberté, me dit-on à l’heure de l’apéro, en ignorant le chemin, les chaos, les accidents, les choix, l’incertitude. Oui, la liberté… mais rien de neuf depuis le chien et le loup de La Fontaine. Me suis fait mordre par les chiens, les roquets, les bassets. Failli laisser ma peau à trop les fréquenter. Alors on peut bien rêver ma vie. Elle m’a coûté si cher. Peut-être trop. Et ce que j’ai gagné, ce n’est pas la liberté, c’est de n’avoir pas trop honte. Mais je dois porter le poids de ce que j’ai perdu.

15 août

Peut-être que c’est l’été, une forme de torpeur, un engourdissement, un ralentissement. Les choses graves devraient être repoussées à plus tard : ce n’est pas le moment. Il faut prendre ce qui vient, ce qu’on a et façonner avec ça une petite boule de bonheur. C’est tout petit, ça ne tient à rien, mais en faire pour quelques minutes le centre du monde et laisser la douleur, la grande douleur et l’absurde, au dehors.

16 août

La répétition du travail d’écriture au quotidien empêche de laisser le texte reposer plus de 24 heures. Il faut parfois, cependant, quand le texte bifurque et prend une direction que je n’ai pas prévue, il peut falloir du temps. Attendre, peu, mais attendre, et revenir un cran en arrière : accepter que le rythme ralentisse pour que le texte reprenne appui, et prenne sa courbe sans déraper. Je suis pile dans un virage, aujourd’hui.

17 août

Il y a un an, je croyais un retour possible. J’avais fait le travail sur moi même, et il suffisait que les autres acceptent d’écouter, il suffisait de bienveillance et d’empathie. Je savais que mon chemin n’était pas terminé, mais j’avais confiance. Je ne m’attendais pas à la brutalité de ce qui allait suivre. « Un vortex d’incompétence »… j’allais utiliser cette expression dans quelques jours, sans encore me douter à quel point elle serait adaptée… Il y a un an, j’avais encore confiance. Il y a un an, je pensais qu’on allait m’écouter. Il aurait suffi de si peu.

18 août

Je ne crois pas être prêt. Pas encore. Et peut-être plus jamais. Je ne sais pas ce qui peut en sortir.

19 août

Aller trop loin : quand les choses vont trop loin, plus de retour en arrière possible. Les choses ont été exceptionnelles. Reconnaître la chance que c’était, ce caractère exceptionnel, magique. Avoir touché du doigt le soleil. Qui a cette chance ? J’ai fait ça. Ensuite, je ne pouvais pas prévoir. J’ai eu confiance. Absolument confiance. On m’a redonné confiance. C’était déraisonnable.

20 août

Très légères touches de nuages posées comme au pinceau dans le bleu du ciel parisien. Elles ont encore accroché à la frange le rose d’un soleil levant tout proche. C’est juste un matin.

21 août

Terrible relecture du carnet de notes, un an en arrière. Août. Septembre. Octobre. Dans le carnet de notes, manuscrit, celui que personne ne lit, la chronologie est implacable. Tout n’est pourtant pas écrit. Mais l’optimisme d’août et la violence du retour au travail… c’est terrible à relire, sachant aussi précisément que possible les causes et les enchaînements, ignorant, (pour) toujours, les raisons de tant de décisions néfastes, – conserver l’espoir minimal de l’incompétence managériale. Dans le carnet, aussi, les prises de notes sur le texte alors en cours d’écriture, et que j’ai mis en suspens. Il absorbera la période d’août 2023 à janvier 2024. Ce sera violent. Il me faut encore mettre de la distance pour transformer tout cela en fiction.

22 août

Je sais qu’un jour je serai seul avec mes souvenirs envahissants. Seul avec ces rêves dans lesquels ils prennent encore toute la place. Seul avec ce dégoût. Plus personne ne se souviendra. Tout le monde sera passé à autre chose. Cette page qui ne se tourne pas, je serai seul à la relire sans comprendre. Seul à n’avoir pas fait mon deuil de la défaite faute d’avoir pu partager cette déception. Je resterai là. Et tout le monde aura continué d’avancer. J’ignore si ce sera supportable.

23 août

Écouter Boris Cyrulnic parler de résilience : comment faire quelque chose de bien du fracas inévitable. Mais oui, quelque chose de positif devrait en sortir, seule façon de donner du sens à la douleur dans le roman de sa vie. Et ce corollaire terrible : si la résilience est possible, cela prouverait qu’on n’a pas besoin de prendre soin des autres. Détournement ultra-libéral du concept. En d’autres termes : rien de plus dégueulasse que de penser que ce qu’on fait à l’autre importe peu puisqu’il s’en remettra, puisque cela le responsabilise, puisqu’il sera meilleur après. Le bourreau qui se persuade d’agir pour le bien de sa victime n’en est pas moins un salaud.

25 août

Parfois, la vie prend toute la place. Les autres avec lesquels passer des moments sans enjeu. Du temps sans rien qui dépende de ce qui se dit, des différences qui pourraient nous séparer. Réunis par la famille, les liens du sang, les liens d’amour, les amitiés, les sympathies. On partage ce qui se mange. On trinque. Une blague ou deux, rien de sérieux. Rien de compliqué. Du temps partagé. Que le reste aille au diable : il sera bien temps demain de laisser l’enfer se manifester à nouveau.

26 août

La dépression rend égocentrique, on ne pense plus qu’à soi. Aller vers les autres comme un signal de guérison. Revenir aux autres. Revenir au monde. Au cœur de la dépression, comme un trou noir qui aspire tout : guérir, c’est lutter contre cette gravité extrême. Et chaque fois qu’on la laisse reprendre un peu de force, on perd encore. Alors il y a ceux qui renvoient au trou noir et les autres. Mais ce qui compte au bout d’un temps, c’est la force qu’on arrive à trouver pour s’écarter du trou. Ce qu’il faut de patience.

27 août

Il y a un an. Ce leitmotiv qui berce. Il y a un an. J’avais réglé tellement de choses. Et les difficultés étaient surmontables. J’étais si loin d’imaginer… Il y a un an, j’étais optimiste. Loin d’imaginer la violence, l’incompétence, la bêtise à ce point réunis. Et que je mordrais la poussière, le gravier et bientôt qu’on me frotterait le visage sur le bitume. Et qu’on me ferait porter la responsabilité de la maladie. Et que je n’aurai jamais aucune explication à la violence.

28 août

Parmi les épisodes de l’été, l’évacuation bouchée de la maison. La canalisation qui bloque. Et les excréments qui s’accumulent. Il aura suffit de l’intervention d’un professionnel, d’un jet haute pression. Trouver un regard : c’est cela qu’il a fallu. Trouver un regard, et rien n’a résisté. Un bon nettoyage et il n’y a plus eu de traces. J’en ai rêvé cette nuit (dans un appartement, wc, inondation, personnes différentes). Le rêve permet la jonction symbolique entre le réel, la canalisation bouchée, et l’engorgement psychologique. Il suffirait de trouver un regard.

29 août

Avec les collègues, programmer une sortie saut en parachute. J’accepte d’en être. Arrivé sur place, découvrir que je suis le seul à sauter. Les autres, non. Bon, parfois les rêves sont tellement simples à analyser… Je me réveille avant le décollage. Mais avec un sentiment positif : je ressortirai grandi de ce saut. C’était une nuit team building.

30 août

Le temps s’écoule et sa vitesse varie : il est d’autant plus lent qu’on multiplie les nouvelles expériences et s’accélère dans la répétition. Alors même que les journées semblent inversement longues. Si rien de neuf ne se passe : les journées sont interminables mais les années passent vite. Compliqué ? Pas tant que ça. Le temps est relatif.

31 août

Je m’étais fixé un objectif quantitatif, un nombre de signes à avoir écrit le 31 août, qui correspondait à ce que j’estimais être la fin du premier jet du roman en cours. Un objectif purement personnel, une date butoir. La date arrive. Le texte arrive à sa fin. Il faudrait un coup de collier aujourd’hui. Quelques obligations risquent de rendre ça difficile. Mais c’est à un ou deux jours près. Je ne sais pas ce que vaut cette première version du manuscrit. Il faudra tout reprendre, ensuite. Cette incertitude dans laquelle tout cela avance…

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