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Chaque mois, cinq idées pour améliorer votre créativité éditoriale

Journal – décembre 2023

1er décembre
Rouvrir des horizons. Se projeter. Remettre l’église au milieu du village. Écarter les nuisances sur les côtés et reprendre le chemin. Envisager une nouvelle routine de travail. Des heures de lecture, des heures d’écriture. Retrouver une régularité impossible depuis des semaines. Un certain bonheur, un bonheur certain à cette perspective. Presque plus rien à mettre en ordre et faire sauter les entraves.

2 décembre
Choisir. Renoncer. Choisir.

3 décembre
Ma relation avec Irène Frain remonte à 30 ans. Elle sortait son roman Devi, chez Fayard. J’y étais stagiaire au service de presse. Je l’accompagnais à Télématin (c’était comme une récompense pour le stagiaire, ce type de mission). Mon premier plateau télé, hors champs. Elle, interviewée. Sans doute le taxi pour aller et revenir. Et à surtout, à la fin de sa séquence, lui dire qu’elle avait été bien. Je ne savais pas que j’aurai l’occasion de le refaire bien des fois avec d’autres, et que parfois c’est moi qui demanderai comment j’étais. Première fois avec ces caméras, les lumières, les décors. Et Irène Frain. Aujourd’hui, je viens de lire son Ecrire est un roman, au Seuil. Il y est question de son rapport à l’écriture, du roman, de comment elle procède, de ce qu’elle voit des choses. L’agrégée de lettre n’est pas loin, sensible à l’étymologie, à l’histoire des mots, et ses références ne sont pas forcément celles qu’on attend. Plus variées en tout cas, de George Sand à Julien Gracq, de Salman Rushdie à Shéhérazade. Mais sa vision du roman reste très traditionnelle : « il n’y a pas de roman sans conflit, action, quête ou révélation d’un secret », écrit-elle. En partant du journal intime et en passant par l’autobiographie, elle poursuit jusqu’au roman et aux personnages, nous laissant visiter les pièces secrètes de sa maison mentale.

4 décembre
Le personnage. C’est sans doute ma prochaine étape. J’ai écrit sans, et ça tient. Reste à faire du personnage plus qu’une silhouette, plus qu’un fantôme, plus qu’une projection. Les pages d’Irène Frain sur la fiche personnage sont très drôles. J’en ai pour des personnages très secondaires du roman en cours d’écriture (fiche est un grnd mot, j’ai quelques lignes pour chaque membre d’un groupe d’une dizaine de personnages). Parce qu’ils n’ont que ces quelques lignes pour exister et n’ont pas d’autre rôle que, presque, de figuration. Mais les deux personnages principaux n’ont pas de fiche, et n’en auront pas. Ils prennent consistance avec l’écriture, avec les mots. Ils n’existent que par la phrase et, surtout, ils ne tiennent pas dans une fiche, pas plus que n’importe qui. Il faut accepter leurs changements d’humeur, leur part d’ombre, leur incertitude. Le personnage n’est pas une marionnette qu’on placerait dans telle ou telle situation et dont l’auteur déterminerait la réaction en fonction de ce qui est inscrit sur la fiche personnage : « fuit le danger » ou « fait face à ses responsabilité ». Le personnage est aussi fluide que la personne, aussi peu réductible à quelques traits de caractère. Et, principale différence, il n’est que les mots qu’on utilise pour lui donner sa part de vie. Plus j’avance et plus je suis persuadé que la littérature, la narration en général, le récit qui fige les événements et les règles, va à l’encontre de la vérité. Le récit est pratique parce qu’il pose des repères. Il est trompeur parce que rien n’est si simple que les récits qu’on trouve dans les livres. L’auteur veut trop souvent faire croire le contraire.

5 décembre
L’écrivain est un vampire. Ce n’est pas nouveau. Il faut bien qu’il se nourrisse, et, ne racontons pas de salades, il se nourrit des autres, de leurs histoires. Sinon, c’est de lui-même, et très vite il ne reste rien. Les autres, c’est un univers infini. De quoi sortir des types figés de la psychologie. Il faut les regarder, les autres, mieux : les voir, les entendre. Il faut des énergies vivantes à la littérature, du bio, du renouvelable. Je m’alimente aux tables voisines des cafés et des cantines, aux confidences que vous murmurez aux oreilles amies, aux rêves que trahissent vos haussements d’épaule, aux cauchemars qui affleurent dans vos tremblements les plus discrets. Suis-je un monstre ? Je vous rendrai tout, et vous vous reconnaîtrez.

6 décembre
Lu sur le site de Libération cette histoire sur la langue, le vocabulaire, la représentation du monde qui dit l’importance vitale de la littérature.
« En 1973, l’anthropologue Robert Levy enquête sur l’île de Tahiti pour comprendre pourquoi le taux de suicide y est anormal, excessif. Robert Levy s’aperçoit que la langue tahitienne, pourtant si précise concernant la notion de douleur physique, ne possède aucun mot concernant la douleur psychique : il est impossible pour les habitants de «mettre un mot» sur la tristesse, la mélancolie, l’angoisse, ni même la culpabilité. Incapables de la «dire», les Tahitiens ne peuvent exprimer leur souffrance qu’en se tuant. Robert Levy nomme ce phénomène hypocognition: soit la douleur de «connaître moins» et, donc, d’être impuissant pour faire face au chaos. »
La littérature pour faire face au chaos.

7 décembre
Accepter une filiation a posteriori, accepter d’un livre qu’il aurait pu être inspirant pour celui qu’on a déjà écrit mais qu’on a lu trop tard. C’est le cas de Monsieur Songe, de Robert Pinget qui aurait pu inspirer mon Parfois l’homme (Le Tripode février 2024). Notamment ces pages du début, lorsque Pinget décrit l’arborescence des possibilités d’action de Monsieur Songe après son repas. Des possibilités limlitées (sieste, lecture de facture, café, marche autour de la table), dont il évoque toutes les combinaisons possibles. J’aurais pu m’inspirer de ça. Je ne l’ai, par la force des choses et l’ordre des lectures, pas fait. Et puis il y a cette phrase : « Pour sortir d’une impasse il faut en prendre une autre », qui résonne avec Parfois l’homme, et un peu avec la vie en générale.

8 décembre
Lu hier un message qui m’a littéralement provoqué quelques frissons au niveau de l’échine. Je n’avais pas réalisé par qui j’allais être lu, en publiant ce roman en février. Et, là, que, deux mois avant la sortie, je sache que ça plait déjà… et à plusieurs, et à celle du message d’hier… Oui, c’est bon signe pour le livre. Et pour l’auteur… Je ne mets pas de mots. C’est déjà plus que j’imaginais.

9 décembre
Relecture ultime du fichier avant envoi à l’imprimeur. Version finale du texte. Plus rien ne bougera. C’est l’édition originale, et si du remords il y a, c’est trop tard. Dés jetés. Saut dans le vide. Plongeon. Relire, et espérer le moins d’insatisfaction possible. Il faut que ça tienne la route, la distance, le choc de l’arrivée entre les mains des lectrices et des lecteurs.

10 décembre
L’année n’aura pas été de tout repos. Cela arrive. Comme à tout le monde. C’est aussi ce qui donne de l’épaisseur et du relief, de la matière. Il faut de la matière. Comment écrire sans ? Il y a matière. Matière à écrire. Temps de sortir de la mine, tout de même. En finir avec les coups de grisou et les éboulements. Sortir de la mine et, du tas de cailloux remontés, extraire les pierres précieuses. Les jeter. Loin. C’est les mains dans la glaise qu’on écrit, les poumons saturés de poussière de charbon. C’est dans l’argile qu’on façonne les golems. Laisser diamants et saphirs aux écrivains sans imagination.

11 décembre
Plus d’une trentaine de ce que j’appelle mes poèmes naïfs en ligne. J’ai créé une page pour les rassembler. Et j’ai répondu à cette question : pourquoi naïf ? Par opposition à ce que j’appellerais une poésie savante qui aille à la recherche de la forme, d’une part, ou de la langue, d’une autre. La forme, il y en a bien une dans les poèmes naïfs, sans quoi ils n’existeraient pas. Et elle est bien contrainte, puisqu’on doit pouvoir, à quelques exceptions près, en définir quelques traits réguliers, ne serait-ce que l’irrégularité. Quelques assonances, quelques échos, quelques allitération, et le rythme. Le travail sur la langue ? Il se cantonne à un vocabulaire globalement des plus accessibles, sans recherche de fioritures. Je ne vais pas aux sources de l’étymologie gratter ce que le mot rare pourrait vouloir dire que ne dit pas le mot courant et qui justifierait de l’utiliser plutôt qu’un autre et qui contraindrait le mot suivant. Si cela arrive, c’est involontaire. Les thèmes, enfin, qui sont souvent ce qui se fait de plus banal en poésie, les émotions, les sentiments, et ce qu’on a là, juste sous la main, sans références culturelles complexes. Des poèmes naïfs, accessibles. De bons poèmes ? Je ne sais pas. Mais j’ai pris ce mouvement, et c’est comme un délassement, une respiration.

12 décembre

La position de l’écrivain ? Pas celle pour écrire, mais où se placer par rapport au réel, aux autres, au monde. Quelle distance et quel point de vue ? Quelle proximité ? Il y a un point juste où se placer, et ce n’est que par rapport au texte. Le reste n’importe que par rapport au texte. Alors, l’écrivain n’habite plus le monde, il y passe glaner ce qui servira au texte. C’est une folie.

13 décembre

Le livre est parti hier à l’imprimerie. Dans moins d’un mois, il sera livré. Dans moins de deux, il sera disponible en librairie. Je sais la probabilité des désillusions, et la nécessité de me remettre au travail. Écrire, ce que je fais mal depuis plusieurs mois, sans concentration, à peine capable de poèmes naïfs. Et ces longues heures qui devraient être consacrées à l’écriture et pendant lesquelles je n’ai rien fait, même pas lu.

14 décembre

L’inaction s’impose et me pèse. J’aligne quelques phrases, et je suis stoppé net. Par rien. Pour rien. Comme s’il me fallait prendre un élan chaque fois, et sauter presque sur place. Mais c’est épuisant et inefficace.

15 décembre

2h26 de rêve me dit ma montre connectée qui mesure les phases de sommeil paradoxal. Un record sur ces six derniers mois. Et une histoire de carte d’identité à retrouver pour un voyage en Russie. Retrouver son identité pour un nouveau voyage. La carte est découpée, rafistolée au scotch, mais je peux partir. Et avec qui je rêve.

16 décembre

Voir le livre à paraître prendre ses appuis. C’est l’éditeur qui fait son travail dans l’ombre. Les services de presse envoyés, les premiers retours de lecture, les premiers conseils donnés aux libraires, les premières invitations. L’impression que c’est encore loin. Ne pas faire grand chose. Et les planètes s’alignent doucement. Il faudra, à la fin, que le livre convainque les lecteurs.

17 décembre

Relire Aurélia. Nerval, le rêve, l’amour impossible. C’est pour le texte en cours d’écriture. Et le travail quotidien des images de rêve générées avec l’intelligence artificielle. Gérard de Nerval apparaît aussi dans Parfois l’homme. C’est assez de raisons pour relire et trouver les raisons, qui ne sont que souvenirs flous si je ne retourne pas au texte. Écrire, c’est aussi ça, même si cela reste invisible ou presque au lecteur : trouver les points d’appui qui font sens. Nerval est entrain de s’imposer de lui-même : à aucun moment une décision volontaire. Mais il est là. Il suffisait de le reconnaître.

18 décembre

Lecture en cours : Rupture(s) de Claire Marin. C’est le thème du manuscrit en cours. Forcément le ressenti du moment. Six mois de ruptures, de fractures. La dépression comme moment de rupture violent. Assumer le passage au statut d’écrivain. Avoir été contraint. C’est la contrainte qui pousse au point de rupture, non ? Je lis rapidement l’article Mécanique de la rupture, sur Wikipedia, c’est plus complexe. Les ruptures dépendent de deux facteurs principaux : la présence de défauts qui fragilisent le matériau et la ductilité du matériau. Le contraire de fragile, ce n’est ni fort, ni solide, c’est ductile. La ductilité comme capacité se déformer. Ductilité qui dépend de nombreux facteurs : la température, l’âge du matériau… La rupture est un phénomène physique. Le chêne et le roseau. Quoi ? Recoller les morceaux, ensuite ? Mais quel espoir de retrouver l’état d’origine ? Non : on se relève autre, changé. Tenter de se relever ductile. Au moins sachant la limite de contrainte insupportable.

19 décembre

Quel est le contraire de fragile ? Solide ? Et si c’était une question de vision du monde. Le solide, aussi solide qu’il soit, finit toujours par atteindre son point de rupture. En physique, solide est le contraire de liquide, ou de gazeux. Un état de la matière. Et le contraire de fragile, alors ? C’est ductile, un objet dont la caractéristique principale est qu’il peut se déformer : pas de rupture. On ne l’utilise pas pour l’être humain. Mais on l’a fait, dans un autre sens : influençable, malléable. Une personne ductile était quelqu’un qu’on pouvait former, ou déformer, selon son bon vouloir, sans risque de rupture. Les mots que l’on choisit.

20 décembre

Soirée poésie hier. Une vingtaine de personne dans le public. Deux poétesses lisent leurs textes en travail. C’est de la littérature vivante, de la littérature entrain de se faire. Peu pris le temps de ces moments par le passé. Il y a quelque chose de réconfortant à ces bulles fragiles. Le public ? Une vingtaine de personne. Sans doute tout le monde écrit, ou presque. La poésie, ce sont aussi ces moments de partage. Tout ça dans une petite maison, à 500 m de chez moi. Dès que possible y retourner.

21 décembre

Recherche prête-plume. Tel est l’objet du mail reçu hier soir. Rencontrer l’auteur en janvier, rendre le livre en mai. Le profil de l’auteur en quelques lignes. La problématique qu’il souhaite aborder. Pas de nom. Mais je crois savoir qui. Tout ça est suffisant pour éveiller ma curiosité. Je réponds oui, parlons-en. Rendez-vous téléphonique calé avec l’éditrice. Comme ça que les choses se font. À voir.

22 décembre

Nietzschéen ? est-ce que Parfois l’homme a à voir avec la philosophie de l’Allemand ? Me demande, en continuant de lire à petites goulées le Rupture(s) de Claire Marin lorsqu’elle écrit que le « préjugé de l’unité » (Michaux) « vient peut-être de la grammaire, comme le suggère Nietzsche. Nous croyons qu’il existe un moi parce que nos langues européennes le conjuguent. Il existerait une première personne, un « moi » qui constituerait une singularité absolue. » Et voilà qui ouvre une nouvelle lecture à la deuxième personne du singulier, qui dynamiterait le préjugé de l’unité. Lire Michaux. Et Nietzsche. Quand des questions traversent le livre à paraître, le livre écrit et le livre en cours d’écriture, c’est qu’il y a une forme de logique, non ?

23 décembre

L’exercice renouvelé ces derniers mois des poèmes naïfs comme contrepoint à l’exercice plus dur, plus résistant, de la prose. Il y a un équilibre. Une ou deux pages de roman, un poème naïf. Et avancer comme ça, dans cette respiration. Ce pourrait être l’inverse, une prose facile à écrire et l’exigence du poème qu’il faudrait accompagner. Mais ces poèmes sont-ils pour autant mauvais ? Revendiquer la naïveté de la forme et du fond, c’est s’imposer une absence de règle, qui en devient une, et donne peut-être l’unité de l’ensemble. Je n’ai pas de recul. Mais on n’a pas besoin de penser pour respirer.

25 décembre

Gâté. Les cadeaux, donc. Des livres qui s’ajoutent à la bibliothèque. Toujours admiratif qu’on m’offre des livres qui me plaisent et que je n’ai pas. C’est un risque. Soit qu’ils ne me plaisent pas, soit que j’en dispose déjà. Mais quelques personnes me connaissent assez pour ne pas se tromper. Et c’est un bonheur. Tant par le livre reçu que par cette confirmation : nous sommes assez proches pour qu’ils ne se trompent pas. C’est un joyeux Noël.

28 décembre

Auprès de moi toujours, du prix Nobel Kazuo Ishiguro. Une vraie émotion de lecture. A quoi ça tient ? Une maîtrise du point de vue, du début à la fin, qui garantit au récit sa poésie et son étrangeté. Une maîtrise de la temporalité qui permet d’échapper à la linéarité du récit et laisse sa place au mystère à découvrir. Et les thèmes : la créativité, l’humanité, la part d’enfance, le destin. Ils sont mis en texte grâce à ces maîtrises techniques. Un très beau roman. Dans une traduction d’Anne Rabinovitch, disponible en Folio. Recommandable.

29 décembre

Pour écrire besoin de trouver l’état juste d’équilibre entre la chute et la tranquillité qui donne l’énergie pile et le rythme adéquat et surtout l’émotion sans laquelle il n’est que technique. La technique permet de faire illusion. L’émotion fait chair. Parfois. En tout cas chercher à. Et maintenir l’état juste d’équilibre la longueur du livre. Y mettre un peu plus que des mots. Y laisser de soi.

31 décembre

Ne serait-il pas criminel, dans un journal, de ne rien écrire à une date pareille ?

Hier soir avoir écrit un poème. Juste avant l’heure du sommeil. Le découvrir au matin comme écrit par quelqu’un d’autre. L’expérience est assez fascinante. S’explique peut-être aussi par une nuit de mauvais sommeil. Mais le texte est là. Assez dur. Et je ne suis pas tout à fait sûr comment l’interpréter. Mais ça, l’est-on jamais ?

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