1er septembre
Il ne s’agit pas d’écrire ce que je ressens, mais de l’impossibilité de ne pas ressentir ce que j’écris. Les émotions ne sont posées sur la page qu’au prix, parfois élevé, du ressenti. Longtemps, j’ai écrit sans ressentir, et c’est peut-être ce qui ne suffisait pas. Plus maintenant. Une reconnection aux émotions qui a eu un coût, qui en aura encore. Je n’en étais pas là pour Parfois l’homme. Je maintenais encore la distance. Du chemin parcouru, depuis. L’exercice d’écriture est plus coûteux, plus douloureux, plus joyeux, aussi… Il m’implique plus. Et ce n’est pas parce que j’irais chercher plus profond en moi, non. C’est réellement parce que je me laisse traverser par les émotions, et que ça laisse des traces. Ne pas ressortir indemne d’une page que j’écris.
3 septembre
Recevoir un message quelques mois après une séance de coaching littéraire et apprendre que ce que j’ai pu dire avait de l’importance, que les questions que j’ai posées on eu des conséquences, qu’une écriture a franchi quelques étapes jusqu’à une publication à venir. Parfois, je me demande à quoi bon, et puis un témoignage comme celui-là… peut-être que je sais parfois lire.
4 septembre
Dans quelques jours le manuscrit sera prêt à être envoyé à l’éditeur. Cela veut dire qu’il aura trouvé sa cohérence, qu’il aura, en quelque sorte, cristallisé : le parties seront devenues interdépendantes de telle sorte que l’ensemble aille de soi, comme si sorti d’un bloc de la mine. C’est de l’alchimie : il n’y avait qu’un peu de poussière au départ. Est-ce un diamant ou de la pacotille ? Il y a toujours un moment de doute.
5 septembre
Il y a un an, la résolution du conflit professionnel semblait encore possible. J’avais posé une méthode, à base de médiation, pour renouer un dialogue qui, malgré mes appels précédents, semblait impossible. Pour tout dire, j’étais confiant. Il suffisait que les choses suivent rapidement leur cours. Ça n’aura pas été rapide. La médiation n’aura jamais lieu. Et tout s’écroulera. Mais, le 5 septembre, il y a un an, je suis confiant. La vraie question, c’est pourquoi, alors que tout pouvait se résoudre, on aura préféré le chaos ?
6 septembre
Rare moment d’écriture : décider de supprimer vingt pour cent du manuscrit parce que non, finalement, ça ne va pas. Le premier jet était terminé, mais non, pas comme ça. Alors remettre sur le métier l’ouvrage. Repartir dans le texte en suivant une autre piste, creuser une autre galerie. C’est nouveau pour moi. On garde ce premier brouillon bancal dans un coin ou pas ?
7 septembre
Ce matin, elle se lève et se regarde dans la glace. Un sourire, pour vérifier qu’elle peut encore séduire. Sans maquillage, elle se trouve laide, sans doute, mais elle saura arranger ça. La mimique est là, toujours efficace. Son visage se ferme : s’il le faut elle sera dure.
Est-ce qu’elle voit chaque matin, derrière son épaule, le masque de souffrance ? Est-ce qu’elle arrive à oublier le mal qu’elle a fait, en ne prenant pas ses responsabilités, en ne respectant pas ses obligations ? En trahissant les valeurs qu’elle tentait jusque-là de défendre ?
Elle passera un jour tout ça en pertes et profits. Dommage collatéral inévitable. Elle nie déjà sa responsabilité : comment vivre avec ce poids ? Comment vivre en ayant détruit quelqu’un ? Comment se lever chaque matin sans jamais même avoir prononcé le moindre regret pour les erreurs commises ?
Elle oubliera ?
L’ombre qu’elle a écrasée sera toujours là. Les mots pour dire la honte seront écrits et lus. Et elle saura ; elle saura et ce sera suffisant. Que c’est d’elle qu’il s’agit.
D’autres auront lu et sauront. Mais lesquels ?
8 septembre
La question de la technique et du rapport à la sincérité. La question du moment où la technique est maîtrisée, intégrée, au point qu’elle se met au service de la sincérité. L’acteur, le peintre, le musicien, et l’écrivain aussi : à quel moment la technique est mensonge ? Longtemps, je crois. Et, un jour, la technique disparaît au profit d’autre chose. Le cap est franchit. Il y a toujours des moments d’entraînement, mais dans le temps de l’écriture, la sincérité a trouvé dans la technique les moyens de s’exprimer. Comment ? En oubliant, juste en oubliant les années passées à apprendre.
9 septembre
Lu Terrasses de Laurent Gaudé. Recommandé très chaudement par plusieurs contacts. A raison. Sur un sujet très délicat, l’auteur réussit un texte choral poignant qui dit l’horreur des attentats de 2015 à Paris. Une vraie réussite de style et de construction qui met en avant les victimes directes et indirectes des terroristes. L’histoire a été racontée de multiples façons. Celle-là touche à l’humanité. Superbe.
10 septembre
Je donne des conseils, des conseils d’écriture. Cela commence par la grammaire et l’orthographe, s’il le faut. Ce n’est pas le plus intéressant : traquer la faute (on ne dit pas la faute, on dit l’erreur) n’a rien de palpitant. J’y consens dans la mesure où elle gêne l’immersion dans le texte. Parler de construction, de rythme, de vocabulaire, d’effets : là, on commence à s’amuser. Et envisager enfin l’état de grâce (trop religieux), le flux, le flow, l’état second qui donne les textes les plus habités. Arriver à la question de la relecture, de la réécriture. Tout cela en laissant tout l’espace à l’autre pour déployer son écriture, ne pas faire à la place, limiter le « faire avec », mais accompagner. Deux, trois voire quatre heures par jour.
11 septembre
Lancement hier soir du très beau deuxième roman d’Alexandre Lenot à la librairie Le Divan (Cette vieille chanson qui brûle, Denoel). Six ans après le premier. « On m’avait dit que le deuxième roman était difficile à écrire mais c’est… horrible ! » Belles phrases sur la nécessité du livre pour l’auteur, sur la recherche de la forme, sur le travail avec son éditrice (l’importance de la place des virgules). Impression de marcher sur le même sentier escarpé, avec ces moments où l’on se dit que le livre ne tiendra pas…
12 septembre
Assister à de multiples rencontres avec des écrivains, à de multiples lectures avec des autrices. Voir les questions posées avec plus ou moins de grâce. Participer moi-même parfois depuis la scène : la littérature est un art vivant, avec ses bons et ses moins bons moments, avec son public. Hier soir encore et beaucoup la semaine prochaine. Ça nourrit.
13 septembre
Le rêve. Comme un écho de l’inconscient qui se rapproche. De nuit, je glisse dans le sable noir, rien à quoi me retenir. Les collègues sont sur la berge en train de parler. Berge de sable quasi verticale. Mes mains n’y trouvent pas de prise. Je crie, j’essaye de crier, voix sourde. On ne m’entend pas. Sur la berge, ils parlent fort. D’où je suis, c’est indistinct. L’eau m’emporte. Ce n’est pas un cauchemar. Je n’ai pas peur. L’eau m’emporte. Voilà. C’est tellement clair, tellement distinct au réveil.
14 septembre
Certaines pages du texte sont nécessaires. Au texte ou à l’auteur. Elles s’écrivent plus facilement. D’autres résistent. Ce n’est pas une question d’inspiration ou de technique mais une question de cohérence. Enfin, je crois. Elles ne sont pas nécessaires, pas encore. Et je n’arrive à les écrire que lorsqu’elles le deviennent. Une histoire de mortier et de place : c’est comme monter un mur de pierres. L’analogie est possible (mais elle ne parle que si l’on a monté un mur de pierres). On a le tas de pierres. On peux trier par taille et par formes : plus ou moins grosses (on choisit les plus grosses pour les fondations), plus ou moins plates, avec une surface au moins qui soit régulière.. c’est un puzzle en trois dimensions qui n’a pas été conçu pour devenir un mur. Et il y a le mortier, qui donnera son équilibre à l’ensemble. Le texte, c’est parfois un mur de pierres. Quand il manque des pierres, on retourne en chercher.
17 septembre
La question de la vérité, c’est pour beaucoup la question du roman. Dire qu’il n’y a pas une vérité mais autant que de points de vues, que d’émotions, c’est entendable. Mais l’argument a ses limites : il y a des faits. Ce qui a été ou n’a pas été fait. Les obligations légales qui n’ont pas été remplies. Les dialogues qui ont été refusés. S’en tenir aux faits quand plus rien d’autre ne fait consensus. Un embryon d’enquête dans laquelle on n’entend pas la victime, une médiation qui n’a pas lieu, une hospitalisation, un malade en arrêt de travail dont on négocie le départ. Ce sont des faits. Et cela suffit. Pour la vérité des émotions contradictoire, il y a le roman. Mais si l’on remet les faits en cause, alors, il n’y a rien à sauver.
18 septembre
Une petite dame, en noir, au premier rang, dans le public venu écouter Emmanuelle Lambert parler de son roman, Aucun respect (Stock). Elle a 94 ans. C’est Catherine Robbe-Grillet. Une silhouette que j’entends demander où elle s’assoit, et que je verrai quitter la Maison de la poésie juste devant moi. Une femme qui fut celle du grand écrivain, et décrite par Emmanuelle Lambert pour ce qu’elle fut : maîtresse sadomasochiste à la sexualité libre et assumée. C’est la liberté d’une femme de 1930 qui est là, et un pan de l’histoire de la littérature. Lecture du livre en cours. Il y est question des femmes et de leur liberté. De ce qui a changé en une génération, et un peu plus.
19 septembre
Rire. Vraiment rire d’une blague dans le rêve et que ça me réveille. Le cerveau qui dit au corps de rire. Je me suis donc raconté une blague que je ne connaissais pas et qui m’a fait rire. Je ne la connais toujours pas : je l’ai oubliée, évidemment. Dans le rêve, il y avait Pascal Legitimus et Didier Bourdon. Aucune idée de ce qu’ils faisaient là. Il y avait aussi du burlesque à la Buster Keaton, avec une échelle. Un rêve comique, donc. Et cet éclat de rire réel, qui m’a réveillé. C’est plutôt bon signe, me semble-t-il.
20 septembre
Fini Aucun respect, d’Emmanuelle Lambert (Stock). La petite histoire des Robbe-Grillet en décor d’un questionnement générationnel sur la place des femmes versus la place des hommes entre la fin des années 90 et aujourd’hui. Et un peu de la génération de Catherine Robbe-Grillet, aussi. Il est question de littérature, forcément. C’est un roman. Ca rappelle aussi comment les choses se passaient, dans un certain milieu, il y a vingt-cinq ou trente ans, et ce qui a manifestement changé. Ça me parle parce que je n’étais pas très loin (souvenir d’un reportage à l’Institut dont il est question dans le roman, dans la seconde moitié des années 90…) Ça evite tout manichéisme. C’est bien.
21 septembre
Besançon, jour 1. Livres dans la Boucle, le salon du livre. 200 auteurs. Du beau monde. Du public. Accueil chaleureux. Ça fait partie du job, venir rencontrer lectrices et lecteurs. Il y a les géants médiatiques, avec lesquels chacun veut un moment. Et les petits qui défendent leurs livres : on gagne des lectrices et des lecteurs un à un. Creuser le sillon. Cet après-midi, lecture musicale de Parfois l’homme et rencontre. Pour ce moment que je suis là, aussi.
22 septembre
Lecture musicale de Parfois l’homme par Raphaëlle Saudinos et Arianne Issartel hier. Un moment suspendu. très émouvant, drôle, maitrisé. La prise de parole qui suit en est rendue compliquée : je crois que le public, comme moi, est sous le coup de l’émotion. Le texte se prête absolument à cette lecture. Et le violoncelle, c’est un instrument magique. À se demander si le texte n’a pas été écrit pour que ces deux femmes s’en saisissent.
23 septembre
À l’unisson dans l’enthousiasme au retour de Livres dans la boucle à Besançon. Retrouver, à plusieurs, la joie d’un projet, la simplicité d’un objectif commun, la confiance. Retrouver tout ce qui a été détruit ailleurs, par d’autres. Se réveiller ce matin baigné de ce soleil-là. Se retrouver à l’unisson d’une rencontre avec le sentiment que les planètes s’alignent dans une émotion partagée. Saisir, sentir, mesurer sa chance.
24 septembre
Elle m’a dit avoir écrit dans sa cuisine, sur un tableau, une phrase tirée du livre. Prendre conscience qu’une phrase tirée du livre peut mériter pour une seule personne, alors inconnue, un traitement pareil. Qu’une phrase tirée du livre soit un écho assez fort pour finir épinglée comme un papillon de collection. C’est une des voies par lesquelles le livre échappe à son auteur. Une phrase écrite au mur, chez quelqu’un.
25 septembre
Aller mieux. Pas bien, mieux. C’est une ambition raisonnable.
26 septembre
J’essaye chaque jour de ne pas penser au jour identique de l’année précédente. Évidemment, c’est compliqué tant les conséquences personnelles, professionnelles, économiques sont nombreuses. Vivre avec le poids des manques, des impossibilités, des failles que masqueront peut-être un jour des opportunités, des rencontres, des joies. Passer encore les mois qui viennent. Pas les plus faciles. Impression certains matin que mon thorax vient d’être labouré et que ne restent que mottes de glaise éparses. Croire malgré tout que les dégâts qu’ils ont faits cicatrisent. Lentement.
27 septembre
Il faudrait écrire chaque phrase comme si c’était la dernière. Poser chaque point comme l’ultime. Il n’y aura pas de suspension. Pas d’interrogation. Et même pas d’originalité. J’aurai aimé.
29 septembre
La difficulté du décompte des jours. Je sais que les efforts sont vains. Que chaque heure rapproche du jour anniversaire du creux de la vague. Ça prend certains moments au cœur. Littéralement le souffle qui manque. Il ne se passera rien. Rien de pire. C’est juste un cap symbolique à franchir : un an après l’implosion. Et il faudra encore vivre l’anniversaire de chaque uppercut qui a suivi, survivre aux souvenirs, à chaque fois qu’ils m’ont remis la tête sous l’eau. Croiser qui que ce soit est une douleur vive. J’évite les lieux où le risque est trop grand. Ce matin à la caisse du supermarché que j’espérais assez loin, apercevoir une connaissance d’alors. Le cœur en arythmie, les mains moites et chercher l’air. Je n’ai par chance pas eu à parler. Je sais que la douleur sera toujours là, qu’il sera impossible de faire comme si la confiance n’avait pas été lacérée. Je ne cesserai pas de l’écrire. Parce que c’est tout ce que je peux faire aujourd’hui. Je ne saurai jamais ce qu’ils ont cru, ce qu’ils ont pensé. Je ne respirerai plus sans ce goût de mort à l’arrière du palais. Il y a des mots que je n’ai pas encore pu écrire les uns à côté des autres.
À Besançon la semaine dernière, croisé une de l’aventure Rouen 2028. Elle était dans le public de la lecture musicale de Parfois l’homme. Je me croyais assez loin, à l’abri, en lieu sûr. Elle ne savait manifestement rien. Et tout ce qui est remonté, le temps d’une dédicace. La violence imprévue du coup sur la nuque. Et j’ai réussi, je crois, à donner le change, à enchaîner avec la dédicace suivante. Je sais qu’ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils ont broyé, de ce qui ne pourra pas se reconstruire. Ça a été dégueulasse.
J’ai d’énormes chances. Je les connais. Je ne les minimise pas. Et je m’interdis le silence, pour toutes celles et tous ceux qui, confrontés à l’incompétence, à la bêtise, et à la cruauté qui advient même chez les plus humains (alors les autres…).
30 septembre
Manuscrit envoyé.