Concentrons-nous sur le deuxième paragraphe. Le voici dans son intégralité.
Trop de courriers de l’administration, de formulaires et d’imprimés sont encore rédigés dans un langage technique et juridique inadapté voire désuet avec le risque de créer des incompréhensions chez l’usager, voire des malentendus et au final générer une perte de temps pour lui comme pour l’administration.
La chose appelle plusieurs remarques.
Ce paragraphe est constituée d’une seule phrase. Une phrase de 46 mots ! Autant dire qu’on est loin des canons de la lisibilité. Un petit rappel s’impose ? A moins d’une structure particulièrement fluide, une phrase devient difficilement compréhensible pour un lecteur moyen si elle dépasse 20 mots. La phrase de Marcel Proust est de 28 mots, en moyenne. Alors, 46 mots pour le deuxième paragraphe d’une seule phrase d’une page sur la simplification du langage administratif, c’est, comment dire…
La construction ensuite ? Au cœur de la phrase, le pire du jargon technocratique. Pas un jargon qui touche le vocabulaire, non, mais du jargon grammatical. La phrase est au passif. Regardez qui est le sujet du verbe : « Trop de courriers de l’administration, de formulaires et d’imprimés « . Toutes ces choses sont rédigées. Mais on ne dira pas par qui. Pas question de désigner un coupable. Pas question de montrer une action. Non : dans l’administration, les choses se font. Toutes seules. Surtout lorsqu’elles sont mal faites.
Le pire est vu, mais ce n’est pas fini. Notez la présence de voire. Deux fois. « voire désuet », « voire des malentendus ». Là on est d’accord, du malentendu n’est pas à exclure. La répétition de la tournure n’est pas du meilleur effet. Et appartient-elle encore au langage courant ? Voire au langage soutenu ?
Un peu de lourdeur dans ce monde de brutes ? « le risque de créer des incompréhensions chez l’usager, voire des malentendus et au final générer une perte de temps pour lui comme pour l’administration. » Afin d’augmenter la lisibilité du texte, on eut été bien inspiré d’écrire « et au final de générer ». La répétition du « de » comme panneau indicateur aurait permis de dire à quoi ce générer peut bien se rattacher, c’est-à-dire au risque (sauf si il ne se rattache à rien, c’est une option). Pire, il y a 12 mots entre « usager » et « lui », cela limite la chance que le lecteur comprenne que lui, c’est l’usager. En effet, l’empan mnésique moyen est de 12 à 20 mots. C’est-à-dire que de nombreux lecteurs, arrivés au douzième mot, ont oublié celui lu une douzaine de vocables plus tôt. A moins d’un retour du regard dans la phrase à la recherche de ce qu’on a déjà oublié, on est perdu. Et c’est ce qui gène la lecture, hachée au lieu de fluide.
Une dernière petite chose. Le vocabulaire. Qui connait « désuet » ? Le mot n’est pas loin d’être obsolète… C’est un joli mot, qui sent la dentelle (c’est très personnel, mais je le vois comme ça). Mais qui dit désuet quand 10% de la population peine à maîtriser plus de 500 mots de vocabulaire ? En tout cas, dans le cadre d’une page sur la simplification du langage administratif, c’est un peu inadapté, non ? Et que les défenseurs du vocabulaire restent calmes : il y a d’autre lieux pour apprendre de jolis mots.
Je sais, ce n’est pas bien de se moquer, mais un petit effort de rédaction sur cette page n’aurait pas été de trop.
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