Vivre, et vivre bien. Se moquer de la guerre et des bombes : elles semblent toujours loin tant qu’elles ne sont pas là. Ouvrir une bouteille, attraper la pince à escargots, décoquiller, laper le beurre fondu, laisser le goût de l’ail tout envahir. Penser que personne n’envahira la France pour ça, personne pour manger des escargots à la bourguignonne. Personne pour se brûler et les doigts et la langue comme ça, avec délectation. Personne pour sortir aux escargots après la pluie, les nourrir quelques jours, puis les laisser jeûner avant de dégorger la récolte avec sel et vinaigre. Le savoir-faire se perd, et le colimaçon qu’on trouve gratuitement à profusion dans les jardins comme au bord des routes trente minutes après l’orage est vendu prêt à consommer. C’est plus simple. Quand reviendront les guerres et les bombes, on ignorera cependant le festin qu’on n’a qu’à ramasser dans les fossés.
J’ai un ami qui demande toujours à manger des escargots quand je l’invite. Il repart avec les plus belles coquilles pour les ajouter à sa collection. Pour l’escargot, sa coquille est sa maison, mais elle est trop petite pour y inviter des amis. Mon ami est très solitaire, Vivien l’est probablement aussi.
Des escargots, Vivien, quelle idée saugrenue! Du saumon fumé ou du foie gras, des huitres ou des langoustines, oui, mais des escargots, où vas-tu chercher cette idée? Tu veux que l’appartement sente l’ail pendant huit jours, que le beurre fondu finisse de détruire ton foie ou ta rate. Au moins dans le temps, il fallait une certaine habilité pour les préparer, mais là, dix minutes au four, le temps d’un apéritif, et le tour est joué. Je sens que la semaine prochaine, nous aurons le droit à des cuisses de grenouille puis à des praires farcies. Ce sera alors le mois du beurre fondu à l’ail pour toi Vivien. Escargots, praires ou grenouilles ne sont que d’insipides animaux , des prétextes à des sauces relevées. Moi, je vais m’ouvrir un pot de rillettes de canard, voilà une vraie nourriture.