L’homme ne se trouve pas doué pour le bonheur, la liesse, la joie. Conscient de ses limites, il décide parfois d’y remédier. Lorsque les sources d’éclats de rire ne lui semblent plus assez nombreuses, ni durables, lui reste à visiter la cave. Il sait les dangers d’un excès de modération qui conduit au dépérissement. L’heure est alors à la biture. A la gaudriole. Aux chansons paillardes. Et tant pis pour les voisins : il a attendu des semaines sans faire un bruit que le besoin soit insurmontable. L’homme s’accorde un peu de répit. Son choix se porte sur un vieux Bordeaux oublié qu’il tire-bouchonne sans attendre et lape. C’est un gros rouge, un qui attaque l’estomac directement, sans laisser de goût mémorable en bouche. Un outil en parfaite adéquation avec l’objectif assigné. En trois verres, l’homme qui n’a pas bu une goutte d’alcool depuis des semaines se sent déjà beaucoup mieux. Il se dit qu’il a bien fait de remonter toute la caisse. Il se mettra à chanter, en dansant, au milieu de la deuxième bouteille, les voisins battront la mesure sur la cloison. Il rira. Confinés comme ils sont, ils ne peuvent rien de plus. Allez, encore un verre. Et crachons en l’air pour voir d’où vient le vent. L’homme, dans son salon, s’aperçoit vite que, fenêtres fermées, ce qui s’élance verticalement retombe de la même manière. Ses postillons s’étalent sur son visage comme une grêle rouge. Il s’esclaffe. Se roule par terre hilare. Ce ne serait pas beau à voir, mais personne pour rien remarquer : les voisins même ont abandonné leur tambourinage. Ils ont sans doute mis la main sur leur vieux stock de boules Quiès. Pas à dire, vin rouge et postillons, il n’y a rien de tel pour passer une bonne soirée de confinement. A condition de ne pas y revenir trop souvent, se dit-il entre son dernier éclair de lucidité et sa première remontée d’acide gastrique. Demain, il essaiera le blanc.