L’homme parfois a l’âme primesautière. Le mot sonne joliment. Il s’imagine à cloche-pied, de fleur en fleur célébrant le printemps sans penser à rien qu’au parfum des glycines, aux odeurs du muguet, aux reflets des narcisses. Un premier saut, un deuxième, et ainsi de suite dans une clairière balayée par des rais de soleil. Il faut dire que l’homme a les yeux fermés. C’est une conditions ces temps-ci pour l’âme primesautière. Ouverts, ils empêchent d’y voir clair. Il y a plein de fleurs dont l’homme n’a jamais su le nom et oublié les effluves. Mais pas la forme des clochettes, la répartition des pétales, le fuchsia des pédoncules. Forcément, il y aurait des abeilles, de gros bourdons et des papillons jaunes et blancs virevoltant dans les traits de pollens en suspension. Le bruit d’un ruisseau dans l’ombre, juste un filet d’eau entre des rochers moussus arrondis par l’érosion. Il ne ferait ni trop chaud, ni trop froid, et la météo aurait cette rare faculté de n’être pas un sujet. Ce serait juste une belle journée, et un moment suspendu. Aucune décision à prendre, rien à trancher, juste aller de-ci de-là, sifflotant en espérant la réponse des oiseaux. L’homme partagerait ce moment avec une bergère, une princesse déguisée en bergère, une guerrière un jour de repos, ou juste la fille du village qu’il trouverait irrémédiablement charmante, gaie, naturelle et espiègle. Elle le trouverait beau, poétique, improbable. Il imaginerait une ribambelle d’enfants primesautiers riant aux éclats au panache d’un écureuil. L’homme ferme un peu plus fort les yeux. Il s’abstient de tout mouvement, retient sa respiration. Il ne voudrait pas faire disparaître l’écureuil, faire peur aux enfants, effaroucher sa femme, effacer les fleurs, le ruisseau, la clairière. En apnée, il retient tant qu’il peut son âme primesautière mais il sait l’immanquable : il reposera bientôt le regard sur l’appartement qu’il n’a pas quitté depuis des semaines. Et il y a du ménage en retard.
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