Correspondance sans correspondante. Lettres en poste restante. Missive to miss. Je ne sais pas si c’est une nouvelle série. Mais je t’écris. Peut-être que tu te reconnaîtras, si tu existes ailleurs que dans ces lettres.
Tu,
Comment vas-tu ? La question vient. Revient. Survient parfois, pas au moment opportun. Je suis assis, au milieu d’un repas, la fourchette plantée dans la côte d’agneau rosée, au milieu d’une conversation, et la question arrive : comment vas-tu ? J’aimerais être sûr. Que tu vas bien. Que tu es avec les personnes qui te font du bien. Que tu es heureuse. J’aimerais le savoir et je ne te le demande pas. J’aimerais le savoir et tu ne me le dis pas. J’aimerais le savoir malgré le silence qui nous unit. Malgré la distance qui nous est commune. Malgré tout.
Comment vas-tu ? La question est là, sincère. Savoir où tu es et que c’est au bon endroit. Savoir que tes yeux pétillent et que c’est de joie. Savoir que tu vas bien, et que c’est un peu grâce à moi, grâce à la distance, grâce au silence. Savoir que tu vas bien parce que je ne te le demande pas.
Plus le temps passe, moins je sais. Les semaines. Les mois. Bientôt les années. Comment vas-tu ? La question est d’autant plus oppressante que je sais de moins en moins y répondre. Elle ne tend pas à disparaître, au contraire. Elle est sourde comme un uppercut parti de l’intérieur de la cage thoracique vers le plexus et me cloue sur place sans avertissement. Je marche dans la rue, je regarde une façade. Je suis loin de celles qui nous ont vus passer, pourtant. Je ne m’en approche plus. Trop incertain de ma réaction si j’y voyais glisser ton ombre.
Comment vas-tu ? Tu ne me poses pas la question. Cela n’a donc plus d’importance. Que j’aille au diable. Que je disparaisse. Comment fais-tu ? Est-ce que parfois, toi aussi, tu sens la violence du coup de poing ? Est-ce que parfois, toi aussi, tu voudrais savoir ? Est-ce qu’il t’arrive de penser que tout est mieux ainsi ? Que c’est de cette façon que nous allons le mieux ? Comment vas-tu ?
Je ne demande de tes nouvelles à personne. J’imagine la gêne que tu ressentirais si l’on t’apprenait que je m’interroge à ton propos, que je m’intéresse encore à toi, que je veux encore savoir. Je me résous à l’ignorance et à la question qui cogne jour après jour, heure après heure. Il n’est pas de distraction qui me mette à l’abri de l’irruption de ton prénom, des images et des émotions qui n’ont pas à remonter de loin, tant elles affleurent en permanence.
Comment vas-tu ?
S.