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29 – S’effacer

L’homme s’efface. Au début du confinement, il existait encore. Le téléphone vibrait, et il a même pris des apéros devant son écran, d’autres buvant comme lui des alcools plus ou moins forts en picorant ce qu’ils avaient pu sauver de razzias improbables dans des hypermarchés vides. Qui trois queues de radis, qui deux cacahuètes parfumées, qui suçotant un bretzel un peu mou. C’étaient encore le moment de prendre et donner des nouvelles, d’éclats de rires angoissés, mais partagés. Et puis les signes de vie s’étaient espacés. Chacun dans sa routine, ne partageant plus les photos du pain maison ni les bonnes adresses de cours de yoga en ligne. Après tout, à quoi bon demander des nouvelles ? Les jours se suivaient, se ressemblaient, se répétaient et l’on ajoutait à l’inaction et à l’affaissement des chairs la culpabilité de n’être pas des utiles qui sauvent des vies au péril de la leur. L’homme n’était pas un héros, et la moindre fiction était une souffrance où un cow-boy solitaire, une avocate téméraire, un explorateur inconscient, sauvaient le monde ou au moins leur famille. Ou un panda. Lui, non. Il sentait bien qu’il disparaissait. On ne demandait pas plus de ses nouvelles qu’il en demandait aux autres. Il avait même renoncé, après deux tentatives, à cuire du pain chez lui, et, après une luxation, abandonné le yoga en solitaire. Trop décevant. Trop risqué. A qui raconter ces échecs ? A quoi bon rajouter à l’humiliation ? Plus il y pensait, plus il lui semblait clair qu’à la fin du confinement, personne ne s’apercevrait de sa disparition. Invisible, il n’émettrait plus le moindre signal social. Inutile, il ne manquerait à personne. Ce n’était pas réellement désespérant, juste un constat. Assis contre le mur du couloir, il sentait son dos s’enfoncer dans le papier peint fleuri. Il irait jusqu’au bout de la démarche et s’effacerait à lui même, perdrait sa propre trace. A peine si l’on remarquerait plus tard une auréole sur le bas de la cloison. Il ne se manquerait pas.

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