L’homme est un équilibriste, un clown, un trapéziste. Il porte un nez rouge et a dessiné sur sa joue blanche une larme au crayon noir. C’est un cascadeur dresseur de chiens, un inconscient qui met sa tête dans la gueule du lion et laisse la trompe de l’éléphant traîner dans sa poche pleine des friandises accumulées pour les enfants du premier rang. L’homme a appris les instruments de musique et les tours de magie. Il scie les femmes en deux, fait disparaître les lapins, apparaître les colombes. L’homme est un éclat de rire tragique et le roulement des tambours et les paillettes, et l’odeur de la barbapapa, des crêposucres, des nougamous. L’homme est un Monsieur Loyal à double fond, une petite écuyère soupe au lait, un monteur de chapiteaux. Il joue du violon pour faire danser les filles, danser les filles et les garçons, et les garçons. L’homme est un nomade, un saltimbanque, un téméraire qui va de ville en ville la bonne humeur en bandoulière. Funambule et jongleur, il avale les sabres. L’homme est cracheur de feu, marionnettiste, nain et géant, monstre étonnant, bossu qui se redresse, femme à barbe et cul-de-jatte au poil luisant. Il joue tous les rôles, le garçon de piste. Montreur de serpents, coupeur de cheveux en quatre, distributeur de claques, videur de seau d’eau sur la tête, dynamiteur de gâteaux à la crème, transformiste acrobate, il a la souplesse du contorsionniste et le regard perçant du mentaliste. Il lance les couteaux, saute, roule, grimpe à la corde et rebondit. Confiné dans sa roulotte immobile, l’homme remonte sans fin le ressort qui le propulsera dans la lumière, au milieu des hourras, dès la liberté retrouvée. Comme un diable masqué sort de sa boîte surprendre son public, il prépare son tour comme si de rien n’était : « Mesdames, messieurs et chers petits enfants, sous vos yeux étonnés, maintenant sur la piste, le coronavirus enfin domestiqué ». Murmures effrayés, applaudissements nourris.
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