Il avance à petits pas, le plus vite qu’il peut sur la route rectiligne à travers champs. Il avance à petits pas rapides, à s’en faire des ampoules aux pieds, à s’en faire grincer les genoux. Il transpire autant qu’on peut transpirer au plein soleil de midi. Il courrait s’il pouvait, mais la distance est trop importante. Marcher, se rapprocher de l’objectif, une chaussure devant l’autre. On lui a dit : il faut que tu y sois à midi. À midi. En partant si tard, en portant ce sac si lourd, un sac plein de dossiers importants qu’il doit déposer à l’heure dite. On lui a annoncé juste au moment de partir : éh, toi, viens là, et porte ça de toute urgence, il faut que ça y soit à midi. Sous le soleil. Sur le bitume qui colle aux semelles, sans rien à boire ni pour protéger son front. La motivation, c’est important la motivation, montre que tu es motivé. Alors, il avait dit oui, il avait dit qu’il pourrait y arriver, s’il partait tout de suite, s’il se pressait, s’il avait de la chance, non, ça il ne l’avait pas dit, pour la chance, la chance n’avait pas grand-chose à voir là-dedans. Il avait essayé de prévenir que ce serait difficile. Débrouillez-vous, lui a-t-on répondu. Et attendez, ne partez pas tout de suite, il y a encore un dossier à ajouter. Voilà. Tout y est. Ne trainez pas, il ne faut pas de retard. Ce serait votre faute. Alors, il se presse. Mais, il sait la longueur de la route, il sait la chaleur. Il regarde l’heure, mais déjà en partant, il savait qu’il n’y arriverait pas, que personne ne pouvait y arriver, que ce n’était pas possible. Mais, c’était important, il fallait essayer au moins. Il essayait, il donnait tout ce qu’il avait. Tout, ce n’était pas assez, il le sentait. L’objectif est de l’autre côté de la colline, là-haut. Il faut monter, et pas un arbre pour faire de l’ombre, pas une source où boire, pas un cheval à enfourcher. Il avance malgré tout, il transpire encore. Il va tremper les dossiers. Ses genoux tremblent. Il ferait bien une pause, mais il n’a pas le temps.
Il n’est jamais arrivé. On a retrouvé les dossiers sur le chemin, au milieu de la côte. On n’a plus jamais entendu parler de lui.