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Avec John Hapax, prenons le temps de vivre

Début décembre 2003 sort en France un petit livre chez Eyrolles. Son titre Slow down. Juste en dessous une injonction : « prenez le temps de vivre ». A l’intérieur, les conseils de l’auteur pour ralentir. 80 conseils, autant de chapitres. L’auteur ? John Hapax. C’est écrit sur cette couverture. John Hapax, c’est moi.

Vous savez ce qu’est un hapax ? Un mot qui permet de gagner au Scrabble, certes, mais il a aussi un sens précis : il désigne un mot qui n’est utilisé qu’une fois. Un mot dont on ne trouve qu’une occurrence dans un ensemble donné. Le souci, c’est que si l’on donne un exemple d’hapax, il cesse aussitôt d’en être un, puisque voilà qu’on l’a utilisé une deuxième fois. Abracadabrantesque en était un, d’hapax, et il a tenu longtemps son rang : on ne le trouvait que dans un poème de Rimbaud, Le Coeur supplicié.

Ô flots abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu’il soit sauvé!
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l’ont dépravé.

Depuis, à cause d’une saillie de Jacques Chirac, abracadabrantesque a connu une nouvelle jeunesse. Et on a redécouvert le mot chez un auteur oublié antérieur à Rimbaud. La vie d’un hapax est compliquée.

Je suis donc John Hapax, et j’ai choisi ce pseudonyme pour ce qu’il disait : je n’écrirai qu’un livre sous ce nom. J’ai tenu.

Je vous en parle alors que commence la deuxième semaine du confinement lié à l’épidémie de coronavirus. Peut-être parce que le moment est d’une certaine intensité en terme de développement (ou de décrépitude) personnel.

A l’intérieur du livre, 80 conseils, donc. On est en 2003, et mon éditeur pense qu’il y a une appétence pour le ralentissement, que les gens en auront bientôt assez d’accélérer tout le temps. Jusqu’à ces derniers jours, où, contraints et forcés, nous avons tous décidés de faire du surplace, la décélération n’était pourtant pas très repérable.

Parmi les recommandations de John Hapax qui pourraient vous servir, pour l’exemple :

Lisez le journal… demain

L’exercice vaut d’être tenté : ce qui reste lisible dans le journal de la veille mérite peut-être d’être lu. Mais que de temps perdu à ce qui ne résiste pas au passage d’une journée.

Ne sautez pas du lit, fermez les yeux et écoutez, lisez un poème… Les conseils sont multiples. Et le livre qualifié de « drôle et léger » sur la quatrième de couverture. Très premier degré aussi : c’est ce qu’on attend du développement personnel. John Hapax est un rôle de composition.

La presse féminine

Le livre a eu une carrière, et cette carrière un rebondissement que je peux vous raconter. Il y a prescription. Quelques journaux en ont parlé, et notamment Maxi. Maxi est un hebdomadaire féminin populaire. Une sorte de Femmes actuelles en moins ambitieux. Mais un produit qui a un public certain chez les femmes de plus de 40, voire 50 ans. Si la diffusion a énormément baissé depuis 2003, elle est encore supérieure à 300 000 exemplaires par numéro fin 2019. C’était un magazine qu’on trouvait fréquemment chez le coiffeur, avec la presse people.

Bref, Maxi a consacré quatre pages à Slow Down à sa sortie. C’est énorme. Le rêve pour n’importe quel auteur. Ou un cauchemar : en quatre pages, l’article constitue un résumé qui se suffit à lui-même. Il pique les meilleures des 80 idées, les réécrit, les résume, en un mot, c’est un beau plagiat, et le livre n’est cité qu’à la fin, en petits caractères.

Le sang de John Hapax ne fait qu’un tour et je décroche mon téléphone pour parler à la rédactrice en chef. Mais, parfois, je suis malin : « Bonjour madame, ce que j’ai écrit a l’air de beaucoup vous avoir plu, je suis disponible pour une chronique régulière ».

Pendant 18 mois, peut-être deux ans, John Hapax a tenu une chronique hebdomadaire dans Maxi. Une chronique sur les petites contrariétés de la vie quotidienne : la machine à laver qui tombe en panne, le pneu crevé, la grippe… Tiens, la grippe. Je ne sais plus du tout où sont ces textes ni si je les ai tous gardés. Il s’agissait de montrer que derrière chacune de ces catastrophes relatives se cachait une raison d’espérer. Cela aurait pu faire un livre, à la fin. Et puis ça s’est arrêté un jour.

Une carrière asiatique

Slow Down, pendant ce temps, continuait son petit bonhomme de chemin. Et j’allais découvrir un peu plus tard qu’il avait été traduit. Il en existe au moins deux versions : une en chinois, l’autre en coréen. Des traductions de Slow down dont je ne sais rien du succès ou du flop. Pas de quoi, en tout cas, recevoir d’invitation pour des conférences à Séoul ou Wuhan. Mais des lectrices ou des lecteurs à l’autre bout du monde. Pour des petits textes écrits comme ça, plus pour m’amuser qu’autre chose, j’avoue que j’ai trouvé ça assez inattendu.

Depuis John Hapax m’a suivi, ici ou là. Vous en trouverez peut-être la trace dans certains livres signés de mon nom. Il doit bien y avoir une fausse citation de John Hapax dans Le meilleur de la bêtise (Editions Mille et une nuits) par exemple.

Longtemps que je n’ai pas eu de nouvelles d’Eyrolles, l’éditeur de John Hapax (et de Sébastien Bailly, j’y ai pas mal publié au début des années 2000). Mais Slow Down est toujours disponible (donc il doit s’en vendre un ou deux de temps à autre pour lesquels je ne perçois pas de droits d’auteur). Il y en a aussi pas mal chez les vendeurs d’occasion.

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