C’était dans un salon du Ministère de la culture. Il y avait là du beau monde, et en particulier le rédacteur en chef du Magazine littéraire d’alors. Le ministre s’appelait Jacques Toubon. Et, période de restriction budgétaire oblige, déjà, le buffet était spartiate pour un ministère : quelques cacahuètes, du saucisson, des radis peut-être. Un peu comme un apéro improvisé à la maison. Cela a son importance, vous verrez.
Jacques Toubon présentait un projet lié à la Très Grande Bibliothèque, je crois. Un point sur le déménagement, sans doute. Ou peut-être l’annonce de son nom de baptême. C’était il y a longtemps. On l’appellerait Bibliothèque de France. François Mitterrand était encore vivant.
Jacques Toubon, donc. Et moi, les discours et présentations terminées qui plonge ma main dans le saucisson. Jean-Jacques Brochier, du Magazine Littéraire, pas loin. Et je me demandais sans doute comment me présenter à lui. Je ne pensais guère à Toubon, ni à la bibliothèque. Ni au saucisson.
La main qui se tendit fut celle du ministre. Et je ne pouvais refuser la mienne, grasse. D’où mon bon mot, plus tard, racontant l’anecdote : « j’ai graissé la patte à un ministre ». Littéralement. Je l’ai peut-être recroisé une ou deux fois à cette époque. Nous rimes alors bien de la loi Toubon sur l’usage du français et la terminologie imposée . C’était le temps des cédéroms…
Je me souviens être passé au Magazine littéraire, ou leur avoir écrit, ensuite, pour proposer une chronique régulière sur le multimédia. Il était trop tôt, et cela ne les intéressa pas.
Jacques Toubon avait disparu des radars. On parle de lui aujourd’hui comme Défenseur des droits. Il était pour la peine de mort, contre la dépénalisation de l’homosexualité, capable d’envoyer un hélicoptère chercher un juge à l’autre bout du monde pour résoudre une affaire… Rien de très glorieux. Rien qui présage qu’il soit en position de défendre nos droits, en tout cas.
Comme quoi il n’est jamais trop tard… Je devrais peut-être repasser au Magazine littéraire.