Ecrire « à la manière de » n’a rien de neuf. Cela a fait partie de l’apprentissage du style, pour Proust. Pas du plaigiat, mais une façon de se glisser dans la façon d’un auteur ou d’un autre, jusqu’à trouver la sienne propre. C’est le plaisir aussi du pastiche, qui a ses lettres de noblesses. Dans cet esprit, Francis Mizio a programmé trois clones d’écrivains à partir de ChatGPT. En fournissant des exemples et en posant quelques règles, ces robots spécialisés écrivent dans le style des uns et des autres. Le résultat est particulièrement intéressant lorsqu’on les fait écrire à partir de la même question.
La confiture de fraises, cette douce métaphore de l’existence humaine. Prenez des fraises, rouges et juteuses comme les plaisirs éphémères de la vie. Écrasez-les sous le poids de la réalité, ajoutez du sucre, peut-être trop, pour masquer l’amertume inévitable de l’existence. Faites cuire à feu doux, observez la transformation, une lente désintégration sous le poids du temps. Et finalement, conservez-la dans un bocal, comme un souvenir figé, une douceur préservée dans l’immobilité du verre. La confiture, une nostalgie comestible, un rappel que même les choses les plus douces sont éphémères.
Telle est la recette de confiture de fraise de Cioran. S’il l’avait écrite. Car le texte ci-dessus n’est bien entendu pas de lui, mais on l’y retrouve bel et bien, débordant d’optimisme.
Trop facile avec Cioran ? Voyez ci-dessous la confiture de fraises de Francis Ponge. Un classique des ateliers d’écriture, Francis Ponge, lorsqu’on veut pousser celles et ceux qui écrire à approfondir la description d’un objet jusqu’à décortiquer la langue.
Dans le jardin de l’aube, les fraises se baignent de rosée. Elles sont rouges comme les joues d’un enfant timide, tendres et pleines de promesses. Cueillez-les délicatement, comme on cueille les mots pour un poème.
Dans la cuisine, où le temps semble suspendu, écrasez ces petits cœurs rouges avec une cuillère en bois – instrument aussi humble que nécessaire. Ajoutez-y le sucre, doux compagnon qui en rehausse la saveur, comme un bon mot souligne un trait d’esprit.
Faites cuire ce mélange à feu doux. La confiture, telle une mélodie, se met à chanter dans la casserole. Observez la magie de la transformation : les fruits et le sucre se marient, fusionnent, deviennent autre chose, tout en restant eux-mêmes.
Enfin, versez cette préparation dans des pots en verre, transparents comme la vérité. Laissez refroidir, et voilà : un condensé de nature, un poème comestible
Oui, écrire comme Francis Ponge est difficile. On se dit bien qu’ici le poète aurait approfondi autrement le sujet. D’ailleurs, il a écrit un court texte titré « Particularités des fraises », qui ne va pas jusqu’à la confiture mais qui commence par cette phrase : « Le bourgeon muqueux des fraises rougeoie sous les feuilles basses. » Ça a une autre gueule.
Et la recette de René Char ?
Dans la marmite de l’aube, les fraises, comme des soleils miniatures, se fondent en un rouge baiser. Le sucre, cristal de la terre, se mêle à cette danse. L’ébullition, tel un orchestre, chante le passage du fruit à l’élixir. Chaque pot de confiture, une lettre scellée, envoyée à l’hiver, lui rappelant la tendresse de l’été.
La démonstration est rapide et illustre parfaitement les questions qui s’ouvrent sur l’avenir de la création culturelle. Vous le voyez venir le temps où l’on n’aura plus besoin d’auteurs ? Ou, plus exactement, le temps des auteurs-programmeurs qui sauront créer les générateurs de littérature les plus en phase avec le lectorat ? Et celui des écrivains qui n’auront plus à écrire, mais sauront dialoguer avec une machine à écrire qui produira les textes qu’ils auraient pu écrire…
Les trois GPT spécialisés de Francis Mizio sont accessibles pour peu que vous ayez un abonnement à ChatGPT :