Cruel effet des fake news : le poisson d’avril sorti de l’eau vivrait ses dernières minutes sur la berge; asphyxié, moribond, et donnerait quelques derniers coups de queue avant de rendre l’âme. C’est la fin. Parce que toute l’année, on se battrait contre les fausses nouvelles, il ne faudrait plus, le 1er avril, se soumettre à la tradition de l’article incroyable, décalé, hilarant (de la Baltique).
Les arguments des sérieux qui n’en peuvent plus sont audibles. Les médias ne seraient pas là pour ça. Et ils se décrédibiliseraient encore un peu en s’adonnant à l’exercice imposé. Pire : les algorithmes ne feraient aucune différence entre poissons et articles véridiques. Ils remontent tout dans leurs filets sans distinction de véracité. Alors comment le lecteur s’y retrouverait. D’autant que le bon poisson est vraisemblable. A peine quelques indices, des références au monde sous-marin, viennent-ils alimenter les éventuels soupçons. Alors, on arrête ?
Ajoutez à cela que le poisson reste en ligne. Le lendemain. Le sur-lendemain. Il perd de sa fraîcheur, et le lecteur crédule n’est plus alerté par la date. Alors il va finir par y croire.
Notez qu’on peut simplement indiquer, dès le 2 avril qu’il s’agit d’un poisson. Choix qu’a fait Le Point par exemple. C’est si simple, la date limite de consommation.
Mais. Il y a un mais. Les défenseurs du poisson arguent que l’occasion est trop belle de rappeler au lecteur de faire appel à son esprit critique, à se méfier avant de relayer n’importe quoi, que le poisson est la démonstration sans danger des mécanismes en oeuvre dans les fake news et qu’il est bon pour cela. Bon pour le cerveau.
Le poisson d’avril, c’est le carnaval de la presse. Le jour où la hiérarchie de l’information est mise à mal, le jour où l’on se tend un miroir déformant pour rire de soi, le jour où on a le droit de rire de tout et de n’importe quoi, le jour où l’esprit de sérieux cède à la blague.
Encore faut-il qu’elle soit drôle, qu’elle dise quelque chose. Mais alors, oui, le poisson d’avril est bienvenu. Il fait réfléchir, il interroge, il bouscule.
Se l’interdire, c’est se soumettre. Le poisson d’avril est une révolte. Il dit tout haut : ne croyez pas tout ce qu’on vous dit, réfléchissez. Il dit tout haut : le monde est aussi une farce. Il dit l’absurdité des autres jours et les rend supportables.
Le poisson d’avril est une nécessité de l’hygiène mentale. Il est le rire qui cesse un moment de prendre le monde au sérieux.
On n’en aurait plus le droit parce que les fake news nous l’interdirait ? Mille fois non ! C’est justement parce que toute l’année elles nous pourrissent les neurones qu’il fallait ce jour-là rire d’elles.
Et, oui, dès le lendemain, reprendre son bâton de pèlerin et lutter contre.