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Journal – 22

22/3/22

Récupérer le stock d’invendus. C’est fait. Un peu dans la douleur, mais je vous passe les détails. Le coffre de la voiture plein de livres. C’est ça, aussi, la vie d’un auteur. Éviter le pilon en rachetant le stock. Autant dire que ça ne rapporte rien, les livres. Mais celui-là devait être écrit. Pas une question d’argent. C’est un peu triste. C’est normal. Reste que j’aimerais qu’il continue à être lu. Je vais voir comment en revendre quelques-uns, peut-être en donner, aussi. Et puis j’espère récupérer les droits du texte. Il va falloir que je vois ça. Et quoi faire avec ensuite. C’est un livre qui m’importe. On va lui chercher une nouvelle vie.

23/3/22

Dans le coffre de la voiture, ce qui reste d’un livre. Savoir qu’après ces exemplaires, il n’y en aura plus. Cette histoire qu’il fallait raconter, et qu’il ne faut pas oublier, ne sera plus disponible. Plus sous cette forme, en tout cas, et peut-être que certains la chercheront chez les bouquinistes, dans quelques années. C’est ainsi que se crée la rareté. Je n’ose croire que le livre devienne totalement indifférent. Pas parce que je suis l’auteur de l’enquête et du livre, mais parce qu’il ne faudra jamais oublier ce qui se passé là, dans la ville où nous vivons, derrière les fenêtres sur lesquelles nous posons encore nos yeux.

24/3/22

Dans une exposition qui commence dans quelques jours au Mémorial de la Shoah à Drancy, on pourra voir la dernière lettre de Raphaël Ganon envoyée à sa femme et à sa fille depuis Drancy, juste avant son départ vers Auschwitz, en 1942. Une lettre que j’avais reproduite dans Les Miraculées, le récit de la façon dont Linda, Paulette et Gaby ont été sauvée à Rouen, protégées jusqu’à la fin de l’occupation par Georges Lauret à l‘hospice de Rouen. C’est justement ce livre dont l’éditeur arrête la distribution et dont j’ai récupéré il y a trois jours les derniers exemplaires. Heureux que l’histoire continue d’être racontée. Et il le faudra, encore et encore.

25/3/22

Deux fois en moins d’une semaine qu’un lecteur du Catalogue 2022 me dit son plaisir à découvrir mes courts textes ou mes capsules vidéos chaque jour. Ce sont de petits signaux, mais ils ont toujours de l’importance. Je ne sais si c’est le signe d’une faiblesse, mais force est de reconnaître que j’ai besoin de ça. Le dispositif de la publication quotidienne demande de la motivation, et c’est plus simple si je sais qu’il y a du monde à l’autre bout de la ligne. Merci.

26/3/22

La patronne de Fayard partie, parce que Sarkozy s’est fâché tout rouge. C’est pitoyable, et petit. Mais c’est la vision du monde de ces gens-là : dégommer celles et ceux qui leur déplaisent. On est de la cour des serviles, ou l’on dégage. Et c’est aussi une certaine conception de la liberté d’exception : celui qui critique est une cible à abattre. Pas joli. Mesquin. Le contraire de la grandeur, quoi. Sophie de Closet a du talent. On s’est vus quelques fois et toujours avec plaisir. Elle fera ailleurs ce qu’on l’empêche de faire ici. Ce sera bien, aussi. Mieux encore, peut-être. J’ai quelques livres publiés chez Fayard… Ça m’ennuie un peu. Et je pense à celles et ceux que ce départ touche de plein fouet. La vie serait plus agréable sans petitesses.

27/3/22

Parfois, une partie de la journée consiste à ne rien faire. Ne rien faire, c’était, adolescent, s’allonger sur le lit, mettre peut-être de la musique, et puis rien d’autre que regarder le plafond. Aujourd’hui, c’est faire défiler des bricoles sur l’écran du du téléphone, en écoutant de la musique. On regarde moins les plafonds. Du temps perdu ? Mais y a-t-il du temps qui ne l’est pas ? Combien d’heures en une année, qui ne soient pas perdues ? Et ce double sens du verbe perdre. Ce qu’on ne retrouvera pas. Elles sont toutes perdues, les heures. Et ce dont on ne fait rien d’utile. Et l’on ignore à peu près ce qui serait utile. Regarder le plafond, encore. Et ne pas culpabiliser de ce qu’on ne fera jamais, ne pas regrette les pages qu’on ne lira pas, celles qu’on n’écrira pas.

28/3/22

Du Bellay, la douceur angevine, le mont Palatin. Retrouver les vers oubliés après “Heureux qui comme Ulysse”. Parce que la sujet vient dans la conversation, et qu’il y a à portée de main le volume adéquat dans la bibliothèque. Personne ne sort son portable pour trouver le texte. Un clic suffirait. Monter sur une chaise, attraper le livre, trouver la page et lire. C’est à ça que sert la bibliothèque. Et la présentation parfaite du sonnet dans cette édition-là. On avait oublié une partie, oublié un peu l’agencement exact des vers. D’autres s’en seraient souvenus. Mais nous avions, au bon moment, le livre et tous les autres sonnets, si l’on avait voulu.

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