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Chaque mois, cinq idées pour améliorer votre créativité éditoriale

Journal – décembre 2024

1er décembre

Les contrariétés du moment sont un bon test pour vérifier ma capacité à la sérénité. Et c’est plutôt une bonne surprise, cette sérénité face à la médiocrité de certains de mes contemporains. Pas que ça me réconcilie avec l’idée qu’il y aurait quelque chose à en tirer, mais je m’en fous. Et c’est le plus important : il y a un an, je ne réagissais pas de cette façon aux contrariétés. Peut-être que tout est allé si loin qu’il devient difficile de m’atteindre. Peut-être que cela signifie que les digues sont peu ou prou remises en place. C’est bon signe. Je suis serein malgré les lettres recommandées, malgré les menaces, malgré la mauvaise foi. Et j’ai envie de remercier celles et ceux qui me permettent de prendre conscience de cette sérénité du moment. Mais je ne m’emballe pas, je sais qu’il reste quelques moments difficiles à passer dans le mois qui vient. Toujours ces dates anniversaires des humiliations de l’an dernier. Je ne m’emballe pas, mais je suis content. On écrit quoi quand on est content ? J’ai peut-être oublié ça…

2 décembre

J’avais oublié ce que représentait un article sérieux de 15 000 signes. Ben, c’est du boulot… ouf. A en espérer que ça convienne du premier coup.

3 décembre

Je lis assez peu. Les Géorgiques, de Claude Simon avancent en sauts de puces. Le texte, il faut le dire, est dense. J’écris peu, également : j’attends que revienne le manuscrit en cours de rerelecture au Tripode. Et j’avais ce long article sur les récits de territoire à terminer. Il faut que je me remette à Perec, ce qui veux dire lecture et écriture conjointes. Mais ce sera plus simple quand le roman sera fini pour de bon. Après cette dernière lecture (celle d’avant maquette), donc. Moment un peu en suspension, donc. Il reste à écrire dans le Carnet d’écriture. Si ça bloque un peu, une solution qui fonctionne toujours, les portraits. Se poser dans un café, et, comme le dessinateur, écrire la personne assise non loin, celle qui passe, prendre des notes comme le peintre remplis son carnet de croquis. C’est toujours écrire, et cela fait de la matière. Qu’est-ce qu’on retient du vieux monsieur seul qui boit son petit blanc en regardant dans le vague ? Comment ça s’écrit, ce monsieur-là ?

4 décembre

Dans ce lieu où je passe, un magazine a installé ses bureaux. Comme d’autres entreprises. Un magazine littéraire, qui reçoit tous les livres. Tous les espoirs de tous les auteurs, toutes les chances de tous les éditeurs. C’est trop. Matériellement trop. Les livres sont dans des rayonnages, dans les parties communes partagées avec d’autres entreprises. Il n’y a qu’à se servir. Mais, même là, il y en a tellement qu’on a l’impression que personne ne prend rien. Pourtant, à regarder les rayons, le bon côtoie ici le moins intéressant. Mais le bon aussi est resté sur place.

5 décembre

Avoir passé deux jours à former des professionnels à la créativité avec l’intelligence artificielle. Recommencer la semaine prochaine, et encore en janvier. Savoir ce que cela va bouleverser, et si vite, dans les métiers de la création. Enrager encore de n’avoir pas été pris au sérieux, de ne pas avoir su ni pu convaincre de la place qu’il fallait donner à cela dans la candidature de Rouen au titre de Capitale européenne de la culture. Le dossier était tellement pauvre sur ce sujet, sans vision. Hélas.

6 décembre

Passer parfois des heures à rien.

7 décembre

Ecouter Jacques Roubaud lire son Ode à la ligne 29, vieil homme malicieux. Et ensuite une vidéo plus courte, avec Perec, jeune homme déjà chauve, Et Perec aussi, jeune et déjà chevelu. Ce sont des considérations capillaires. Mais quoi, ces deux-là qui font littérature. Je ne croiserai donc ni l’un ni l’autre. Mais ils ont ouvert tant de voies. L’ode à la ligne 29, que je n’avais pas lue, c’est l’infra-ordinaire de Perec magnifié. Allez, il faut tout ça dans sa besace pour continuer à écrire. Accepter l’autobus, le machiniste, le terminus. Les parenthèses, surtout les parenthèses. Et se demander si la glace à la gentiane se fait toujours.

8 décembre

Lire L’enterrement de François Bon, trouvé en Folio, à deux euros, chez un bouquiniste. L’enterrement comme élément de la vie sociale, le pendant du mariage. Tout le monde se retrouve et respecte le rite. Le travail sur la phrase. Est-ce que ce qu’on enterre, c’est la phrase ? Est-ce que ce qu’on enterre, c’est la littérature ? Qu’est-ce qui est enterré, au fond ? Qu’est-ce qui est tué, et par qui ? Ne finit-on pas par raconter, peut-être malgré soi, ce qui est mort en nous et comment les autres passent à côté, pris dans le jeu des faux semblants. Pris dans la trame de ce qu’il ne faut pas dire. Ce sont réflexions en lisant, alors que la lecture n’est pas terminée.

9 décembre

Fini L’enterrement. Livre important. Pas celui de François Bon dont on parle le plus. Mais une force, parce que tous on est passé par là, à une place ou une autre (et l’on passera à la dernière). C’est donc ça, un enterrement. Les vivants qui cherchent à continuer à vivre, malgré tout. Une force d’observation et de style. Un texte sur le suicide, et ce qu’en font celles et ceux qui restent. Et que rien ne viendra modifier le cours des choses, les rituels. Évidemment chacun sa lecture et les échos avec sa vie. C’est aussi la force de ce livre.

10 décembre

La période est au regard en arrière. Quoi qu’il se soit passé depuis un an, c’est ce qui se passait il y a un an qui engloutit tout. Le 13 décembre approche. C’est un ravin. C’est infranchissable. Ce sont toutes les cicatrices qui se tendent et les moins résistantes qui se rouvrent. Le 13 décembre 2023, sans que sache pourquoi, sans que j’ai encore aujourd’hui la moindre explication… Je ne crois pas pouvoir encore écrire ni cette douleur ni cette solitude. Il faut qu’il se passe ces jours-ci de quoi effacer ça.

11 décembre

Tellement honoré de travailler avec Frédéric Martin. Je sais la rareté des personnes capables d’aligner leurs actions avec leurs valeurs. Le fondateur du Tripode laisse la direction de la maison d’édition à son équipe, une équipe jeune (les gens me paraissent de plus en plus jeunes), mais forte d’une vraie expérience à ses cotés. C’est réjouissant. Le Tripode, à ce que j’en sais, va bien. Frédéric continuera son boulot avec ses auteurs. Il sera là pour mon roman de juin, et j’espère pour les suivants. Mais il sait lâcher les commandes quand tout va bien, transmettre les responsabilités, et continuer à avancer. Bravo.

12 décembre

Bruxelles.

13 décembre

Un an après la défaite. Je pourrais faire un bilan de l’année. Étonnamment, ce matin, j’ai dit : je vais bien. Je vais bien. Parce que j’ai fait des choix. Le passé me prouve les dégâts, chez les meilleurs, du salariat et de ses jeux de pouvoir. Depuis quelques jours, – parce que j’y suis attentif ? – j’entends les conversations dans les transports de celles et ceux qui se plaignent, qui s’engueulent, qui n’en peuvent plus. Ce matin, un message qui me dit deux que je connais qui sont au bout du rouleau. Un autre échange sur un qui n’a pas pu aller travailler. Tous ces signaux qui disent la nécessité de se protéger contre la violence systémique.

Je vais bien. Le luxe d’avoir choisi pour de bon la liberté et ses incertitudes. Le luxe de travailler moins, uniquement à la mission, uniquement à la confiance. Le luxe de dire non. Merci, mais non : pas comme ça, pas dans ces conditions, pas avec vous.

La chance d’avancer avec des personnes en qui j’ai confiance. Soit parce qu’on a déjà traversé des turbulences (qui n’en a pas traversé ces dernières années), soit parce qu’en quelques mois elles m’ont fait la démonstration qu’on peut aligner ses actes et ses valeurs.

Il me fallait ces retrouvailles et ses rencontres. Il me fallait l’ouverture de ces possibles pour échapper à la boue, à la glue, à la petitesse.

J’ai traversé la maladie. Je commence à en parler au passé de plus en plus souvent. C’est un pas énorme.

J’ai connu cette année des succès que je n’imaginais pas. Un deuxième roman est prévu pour juin. Cette vie compense la liste des humiliations jamais contredite : j’ai de la chance.

J’ai mis de la distance, géographique. J’ai évité beaucoup de choses. Je suis éloigné de gens pour qui j’ai de l’amitié. Je vais peut-être pouvoir retisser les liens bientôt. Ce sera le signe que je vais mieux, encore.

On est le 13 décembre . Il y a un an, je rampais. Je me relève. Celui qui se relève n’est pas tout à fait le même. Il me reste du chemin à faire avant de pardonner aux incompétents qui m’ont presque tué. Si j’y arrive un jour.

Mais j’ai d’autres choses à faire d’ici là.

14 décembre

Pardonner. C’est un truc appris au catéchisme : pardonne à celui qui t’a offensé. Pas pour lui, mais pour te sentir mieux : pardonne et tu seras pardonné. Parce qu’il faudrait ça pour mériter le paradis. Le pardon. Un truc égoïste. C’est beau sur le papier. Ça s’institutionnalise au lendemain d’une guerre civile. Pas sans douleur. Mais parce qu’il faut continuer à vivre ensemble. On n’est pas obligé, pas dans la vie courante. On n’est pas obligé de vivre ensemble. L’œil, dans la tombe, n’a pas pardonné à Caïn. Les phrases seront l’œil encore longtemps, qui les regarde et qu’ils n’oublieront pas. Les mots ne vont pas au paradis. Caïn n’a jamais connu la paix.

15 décembre

Lecture en cours : Le Corps lesbien, de Monique Wittig. Ce qu’elle fait subir aux corps dans le texte. Ce qu’elle fait du genre grammatical. Œuvre militante : oui, et c’est la lecture qu’on en fait généralement . Œuvre littéraire : ne pas contextualiser en permanence, laisser le texte agir sur soi. Je préfère cette option. Ça secoue par la violence. C’est ça lorsqu’on ne se contente pas de la surface des corps mais qu’on y plonge, jusqu’aux entrailles (et comme est croquée une oreille, déroulé un intestin). Et cette barre oblique qui dit un sujet ni homme ni femme, même si les corps ont un vagin. Force littéraire : inviter à une lecture qui ne laisse pas indemne. Force de l’écriture de Wittig.

16 décembre

Passage dans cette petite librairie de Rouen qui choisit chacun des livres proposés. On s’y sent bien parmi des livres amis et l’on y découvre d’autres qu’on ne connaissait pas. Ça devrait toujours être ça une librairie, une fête organisée par des amis où l’on est sur qu’on croisera des inconnus passionnants. On n’est obligé de parler à personne. Et si l’un vous tourne le dos, ce n’est pas grave : il y en a tellement d’autres qui n’attendent que vous.

17 décembre

Pas de secret jalousement gardé pour l’écriture : ce qui compte, c’est cet état quasi hypnotique, ce flow, cette capacité à suivre le rythme sans forcer, à me laisser porter. Pour ça que la réécriture est dangereuse, le travail sur la phrase subtil : il ne faut pas casser ce qui fonctionne du premier coup, ne pas perdre l’énergie. Parfois, pendant des jours, je tourne autour de cet état optimal de l’écriture. Et puis ça revient. J’écris comme ça. Pas à l’instinct, j’ai trop de technique pour défendre cette position, mais dans cet état particulier qui permet l’improvisation.

18 décembre

Pendant 20 ans, sans doute un peu plus, j’ai lu quotidiennement le journal local. J’y ai travaillé, ou pour la concurrence. Et longtemps l’enjeu professionnel a été de n’y rien apprendre : des nouvelles importantes de la veille je devais déjà tout savoir. Parfois ce n’était pas le cas, parfois j’en savais plus. C’était une vie de journaliste local. Depuis plusieurs mois, je ne le lis plus. J’ignore l’avancée des projets, les nouvelles perspectives, les éventuels scandales, les petites anicroches. Je ne m’en porte pas plus mal. Et cela n’a rien à voir avec la qualité du travail des journalistes, qui n’ont sans doute guère plus de moyens qu’hier. Non, c’est une façon aussi de prendre des distances, de me ressourcer ailleurs, de trouver autre chose. Il y aura des polémiques dont je ne saurai rien. Des entreprises dont j’ignorerai tout. Et alors ? Je lis d’autres journaux, je m’intéresse à ce qui se passe ailleurs.

19 décembre

Vu hier soir le seul en scène d’André Dussolier au théâtre des bouffes parisiens. Un peu déçu par l’absence d’interaction avec le public : la culture du stand-up n’est pas passée par là. Il déroule les textes avec maîtrise, mais l’on n’a pas le sentiment d’un moment privilégié. Il dit Le Crapaud de Victor Hugo. Un texte qui résonnera toujours pour moi. Et, parmi d’autres, des Diablogues de Roland Dubillard. L’absurde fonctionne. Découvert en particulier L’Écrivain souterrain. Un reporter interroge un écrivain qui vient de recevoir « Le prix Littérature pour tous 1951 ». Une interview classique, mais l’on découvre très vite qu’il s’agit de l’auteur des textes que l’on peut lire dans le métro, comme : « Il est interdit de cracher sur le parquet des voitures ». Des messages qui sont les ancêtres de ce qu’on appelle aujourd’hui le copywriting. L’interview imaginée par Dubillard est excellente parce qu’elle singe les entretiens littéraires. Les réponses de l’auteur, aussi sérieuses que celles d’un grand écrivain, et aussi pompeuses qu’on peut l’imaginer, augmentent l’absurde de la situation. Dommage que Dussolier ait coupé le texte de Dubillard, encore plus riche que celui représenté.

20 décembre

Jour anniversaire difficile. Il y a un an… c’en sera fini après ça des « il y a un an ». J’espérai alors me dégager de la poix. Ça n’a pas suffi. C’est lent, c’est long. Il y a eu, heureusement, la littérature. Mais je sais aussi tout ce qui m’a été impossible cette année. Ce qui ne se dit pas. On ne dit que ses succès, non ? Ou au moins on fait semblant.

22 décembre

Avoir tenté le bilan de l’année, en ne gardant que le positif. C’est un visage à montrer en public. C’est la face visible. Il y a l’autre évidemment, qui s’est estompée au fil des mois. La face ravagée qui se répare tant bien que mal, qui se maquille. C’est encore fragile par endroits. Et il faut accepter des failles que rien ne recouvrira. Faut-il accepter le jeu de ne plus les montrer ? Je ne crois ce pas. Continuer d’y trouver un carburant pour la littérature ? Sans aucun doute. C’est dans ces failles que vont se nourrir les prochains romans. Quelques années devant moi à encore y retourner. Mais ce bilan positif, quand je me retourne, sachant d’où je suis parti il y a un an, ce n’est pas si mal.

24 décembre

Ainsi vient Noël chaque année.

25 décembre

Vous avez le pied du sapin.

26 décembre

Lire Annie Ernaux. Sur sa mère, la vieillesse, la fin. Le corps et l’esprit qui se délitent. Le presque rien dont rien n’est occulté. C’est banal, c’est fort. Je n’avais pas lu « Je ne suis pas sortie de ma nuit ». On peut écrire comme ça. Et dire ce qui nous relie à l’autre de cette façon clinique (mais ce n’est pas le bon mot, c’est réducteur, il y a de l’émotion partout). Bref, lire Annie Ernaux.

27 décembre

Il y a la vie sans la littérature, qui est la vie de la plupart. La vie sans réflexion sur le langage et le récit, la vie d’éclats de réel collectés ici ou là : ce qu’on a entendu dire par les uns ou les autres, des bribes de sujets télévisés, des échos plus ou moins retenus ou digérés. Cette vie là, s’en satisfaire. Peut-être une piste tragique : croire dans cette vie là en quelques vérités qui suffiraient à remplir l’existence. Se satisfaire. Une tragédie. Une tragédie qui ne fait pas de bruit.

29 décembre

Il y avait l’envie d’une série en 2025, comme le Catalogue en 2022, après la rédaction de Parfois l’homme. Et puis la conscience d’avoir déjà exploré ce rythme quotidien. Peut-être remplacé par le journal aujourd’hui et le rythme assez soutenu du Carnet d’écriture. C’est peut-être là qu’il pourrait y avoir exploration de séries plus courtes, peut-être au rythme moins précis. Des explorations sur dix, quinze ou vingt textes. Sans viser la XL publication, mais dont la longueur oblige à explorer un peu en profondeur, un peu plus loin que ce que je pense trouver. Ou rien, continuer comme ça. Pas mal à faire, déjà.

30 décembre

Quelle littérature face a la folie de l’humanité ? Quelle littérature face aux talibans ? Quelle littérature face à Trump et Musk ? J’ai échoué déjà à me faire entendre avec des ambitions moins élevées, face à la bêtise et à l’incompétence. Que faire entendre face à une folie organisée, face à une folie planifiée, qui mise sur la bêtise ou l’aveuglement ? Ce que j’ai vécu en 2022 et 2023 comme une réduction à l’échelle de quelques bureaux de la folie des hommes et des femmes ? Je peux raconter à cette échelle. C’est peut-être trop tard, c’est peut-être trop petit. Mais il n’y a pas d’autre ambition à avoir, après mon cycle de trois romans sur l’amour, que de trouver le moyen littéraire du combat culturel. C’est la moindre des ambitions. C’est le moindre des engagements. C’est au moins à cela qu’auraient servi les déplorables événements professionnels de 2023. La post-vérité, la machine à broyer, la violence institutionnelle : c’est de cela que la littérature à écrire devrait faire sa matière maintenant.

31 décembre

« Je suis comme un point sur un plan, dont les coordonnées s’effacent. » Phrase magnifique d’Alexandre Vialatte dans une lettre à Ferny Besson. Ce que l’on est tous, à un moment. Un point dont les coordonnées s’effacent. Et le plan change. On lutte, avec plus ou mois de conviction et de succès, contre l’effacement. Il faut bien être quelque part.

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