Georges Lauret, donc, était médecin, chef du service obstétrique de l’hospice de Rouen pendant la seconde guerre mondiale, sous l’occupation nazie. Dans Les Miraculées, c’est lui le héros. Un vrai héros, pas simplement un héros de papier. Un héros avec un visage.
Grands yeux, petite moustache. Ce portrait à la pipe est visible dans un petit cadre à la place centrale dans l’appartement de Gaby à Paris. Gaby qu’il a sauvée, avec sa grande sœur et sa mère. Trois femmes auxquelles il a évité Drancy, Auschwitz, la mort.Sans lui, les enfants de Gaby, ses petits-enfants ne seraient pas là. Il est plus que le bienfaiteur de cette famille. Il est celui sans qui cette famille ne serait pas.
Sur la photo, il a l’âge qu’il devait avoir pendant la guerre. Je ne lui fais pas fumer la pipe dans le livre, je ne parle pas non plus de la rangée de livres derrière lui. Plus je relis, plus je vois ce que je n’ai pas dit.
Je raconte pourtant la cicatrice derrière la moustache et d’où elle vient. Cela dit la combativité du bonhomme. Il faut raconter ce qu’on ne voit pas.
C’est un type comme un autre qui fixe l’objectif. Un sacré type. Un qui nous dit les conséquences de ce que nous faisons ou pas, des risques que nous sommes prêts à prendre.
Il n’en a pas tiré de gloire, il n’en a pas donné de leçon. Il a simplement fait ce qu’il pensait devoir faire, dans une situation donnée. C’est la banalité du bien qui frappe. Peut-être, simplement, ce que doit faire un médecin.
Les Miraculées est un livre optimiste. Dans le pire moment, alors que tout s’organise avec une stupéfiante efficacité pour éradiquer les Juifs de Rouen, un homme, un seul, sauve trois personnes. C’est presque rien. C’est une goutte d’eau. C’est juste possible.
Quand j’ai su cette histoire, ses grandes lignes tout du moins, j’ai été stupéfait que personne ne l’ai racontée, qu’elle soit quasiment restée sous silence, qu’on n’en sache pas plus. Et puis j’ai vu cette photo, plus de 70 ans après, dans le salon-salle à manger d’une femme âgée toujours émue à l’évocation de son sauveur. Il n’y avait aucun doute : il fallait raconter cette histoire.
Je découvrais dans ce salon parisien, sous le regard argentique de Georges Lauret à quel point elle m’était plus proche que j’aurais pu l’imaginer.
- Les Miraculées, Sébastien Bailly, Editions des Falaises, février 2016.