Lorsque je donne des cours, souvent, j’en reviens au schéma de la communication que l’on doit à Roman Jacobson. C’est assez efficace et ça a le mérite de reposer quelques grands principes de la communication. Jacobson met en évidence un certains nombres de fonctions du langage, et, notamment, la fonction phatique. Qu’est-ce que c’est ? Celle qui a maintenir le contact entre l’émetteur du message et celui qui le reçoit. C’est quand on dit "allo", pour s’assurer que la communication est bien possible. C’est la fait de se serrer la main ou de se saluer : on s’assure qu’on peut engager la conversation. On en retrouve de plus en plus de traces sur le Web.
L’usage de Twitter, par exemple, est bien souvent essentiellement lié à la fonction phatique : "je suis là, le contact est possible". Ma présence, et le rythme de mes mises à jour prouvent la possibilité de l’échange de messages.
Et, sur Facebook, c’est du même ordre. Il y a le statut: je dis, en permanence ce que je suis entrain de faire, ce qui est une façon de signaler que la communication est possible, ou pas. Mieux, une fonction sert uniquement à cela : le poke. Je peux poker une personne, ce qui reviendrait, dans le monde réel, à lui taper sur l’épaule. Libre à elle de se retourner, de me dévisager, d’engager la conversation ou de faire comme si elle n’avait rien senti. Le "poke", c’est la fonction phatique par excellence.
Ca ne sert à rien. Mais c’est essentiel. Et c’est une pierre angulaire pour un logiciel social comme Facebook.
Oui. Continuons l’analyse : la fonction phatique est surtout utile dans les dispositifs de communication à distance. « Allo » est essentiel parce qu’aucun autre canal de communication que la voix n’indique à l’interlocuteur qu’il y a quelqu’un au bout du fil. En présence, on a la vue et même l’échange de regard. Facebook et al. ont besoin du poke parce qu’ils sont plus que le téléphone (ils reposent sur la notion de « présence » en ligne) et moins que le monde physique (ils ne bénéficient pas des signes immédiats de la présence de l’autre).
Tout ceci valide et revalide la métaphore du cyberespace. Je m’émerveille toujours de constater combien cette métaphore pour décrire Internet est fausse d’un point de vue technique, mais vraie du point de vue des usages : Internet, simple système d’interconnexion de machines est vécu par ses utilisateurs comme un espace de coprésence.
Et hop, je te tapes sur l’épaule pour te dire que ton billet est intéressant 😉
Enfin c’est un « phatique » finalement emphatique… (!)
Je plussois et fait de même, tardivement, vu la date de l’article, mais quand même 😉