Amusant de voir comment ressurgit, avec Internet, et les relations sociales qui s’y nouent, un modèle vieux de plus de 60 ans. En effet, c’est en 1940 que Paul Lazarsfeld mène, avec quelques autres chercheurs, la première étude sur la communication de masse politique. Ils publient leurs travaux en 1944 sous le titre The People’s Choice. D’après eux, l’effet des mass medias doit être relativés, et ils font pour la première fois apparaître la notion de « leader d’opinion ». Selon Lazarsfeld, seul 5% des électeurs seraient influencés par les mass medias, un nombre bien moins important que ceux qui se laissent influencer par les amis, collègues, frères, soeurs, etc.
Les leaders d’opinion se reconnaissent au fait qu’ils sont de gros consommateurs d’information et qu’ils sont reconnus comme des personnes d’influence au sein de la communauté à laquelle ils appartiennent.
C’est un «two-step flow» : dans un premier temps le message, puis dans un deuxième temps le traitement et la retransmission du message par un leader d’opinion au près de son groupe d’influence.
Cette théorie est toujours d’actualité aujourd’hui où une grosse partie du marketing en ligne consiste à repérer des leaders d’opinion, et à les vendre comme des chevaux d’écurie à des messages (et leurs émetteurs) en espérant qu’ils les tirent en avant et les relaient auprès du reste de la population.
Pourtant les choses ont un peu évolué, et on ne peut pas vraiment considérer qu’Internet fonctionne sur le mode des mass médias. Plaquer sur les communautés virtuelles un raisonnement qui valait à l’époque où le nombre même de chaînes de télévision n’avait rien à voir avec aujourd’hui est peut-être un peu rapide.
Le schéma du « two-step-follow » était assez simple.
Le schéma de la communication en ligne l’est beaucoup moins. D’autant que chacun peut, à tout moment, remonter jusqu’à la source de l’information.
On peut concevoir que le rôle des leaders d’opinion reste important. Mais il semble suicidaire de limiter son analyse à cela. En terme de communication, le Web 2.0 ne peut être simplement considéré comme une automatisation de la théorie du « two-step flow ». Les liens y sont trop nombreux, trop mouvants, et trop rapides.
Bien sûr on me rétorquera que les 100 blogs les plus lus dans le monde constituent des relais de choix. Et je serai bien en peine de dire le contraire.
Si l’on veut faire passer un message dans les conversations en ligne, se contenter des leaders d’opinion n’est pourtant pas satisfaisant. On aura tout intérêt à réfléchir de façon plus fluide. Le mécanisme n’est plus simplement du haut vers le bas, avec des filtres à chaque étage. On est dans quelque chose de plus mouvant, où les messages peuvent emprunter de nombreux chemins, à partir de portes d’entrées plus nombreuses et peut-être plus difficile à repérer.
Pour faire passer un message, il ne s’agit pas tant de repérer les leaders d’opinion existant que fédérer, autour du message, une communauté qui assurera le rôle de leader d’opinion.
Que tous les amateurs de basket puissent se retrouver dans une communauté participative et virtuelle, autour de ma marque aura certainement plus d’impact, et de manière plus durable, que si j’envoie une paire de mes baskets à une dizaine de leaders d’opinion, en espérant qu’ils en parlent à ceux qui les écoutent, et que cela fasse tache d’huile.
Le challenge, pour tous ceux qui tiennent à maîtriser leur communication, autant que faire ce peut, n’est donc pas de repérer des leaders préexistants, mais de devenir eux-même ce leader, en quelque sorte, en agrégeant autour d’eux tous ceux qui peuvent se reconnaître dans le message.
C’est ce changement là qu’il faut intégrer aujourd’hui.
Certes, le blog donne l’impression qu’on en est toujours à l’ère, démultipliée, des leaders d’opinions. Les blogs individuels les plus lus semblent en effet agir comme tels. Le phénomène des communautés virtuelles, dont l’exemple le plus abouti est peut-être le wiki, mais on peut parler, aussi, des logiciels de networking social, qui n’ont pas fini de nous surprendre, est encore émergeant, et moins médiatisé (à l’exception notable de Wikipedia). C’est pourtant en réfléchissant dans cette direction là que l’on peut concevoir de nouvelles façons de communiquer sur Internet.
Si une entreprise dispose, avant ses concurrents, de l’outil sur lequel se retrouvent et échangent les passionnés de sa marque, de son produit ou, mieux, de son secteur d’activité, elle entretient un lien direct et fort avec ceux qui sont, réellement, les meilleurs leaders d’opinion dont elle puisse réver : des évangélisateurs qui relaieront son message mieux que n’importe quel star actuelle de la blogosphère.
(cet article a été intialement posté sur le blog de Yades)
D’accords avec toi sur cette analyse. Toutefois, il me semble très difficile de dégager rapidement une « communauté » leader d’opinions et en ce cas, reste toujours d’actualité Le Leader d’opinion en tant que tel. Le challenge étant je pense de faire se propager le plus rapidement possible le message depuis Le Leader d’opinion aux Communautés d’opinions.
On le voit aujourd’hui dans le lancement des versions bêtas des sites. Les invitations sont lancées aux Leaders d’opinions qui en parlent aux Communautés d’opinions qui elles vont demander à accéder aux versions bêtas. L’analyse de Paul Lazarsfeld me semble donc encore bien d’actualité même si il faut l’adapter à notre monde. Comme l’essentiel des théories de la communication, fixées il y a plusieurs décennies, elles sont toujours pertinentes aujourd’hui.
Jean-François, tu as raison, une fois posée l’analyse, il faut se poser la question du mode de recrutement de la communauté. J’y reviendrai vraisemblablement dans un prochain billet.
Intéressant ton article. Je pense qu’il y a en effet plusieurs niveaux de « leader d’opinion ». Pour moi, un blogueur est un influenceur d’opinion de son lectorat. Un « leader d’opinion » est celui qui a le lectorat le plus important et le plus influent. D’ailleurs il est intéressant de noter comment les moteurs de recherches intégre cette notion « d’autorité » dans leurs résultats.
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